Après un Méandres tout en poésie et en intimité mélodique sorti en septembre 2013, Jean-Louis Prades (Imagho) revient avec un disque uniquement disponible en version digitale en direct sans label, collection de divers morceaux suivant un ordre chronologique sortis précédemment sur des compilations et depuis indisponibles ou introuvables. D’abord expérimental et brut, le fil musical d’Imagho se déroule lentement vers une musique plus lumineuse, où les mélodies éclosent lentement. Disque de guitare, mais pas que, Imagho est un coloriste, un musicien à la recherche du timbre. Ce Contextes 1999/2012 en est le meilleur exemple.
Ce disque de titres rares et introuvables sont aussi l'occasion de revenir sur ta carrière, donc qui est Imagho ?
Jean-Louis Prades : Vaste question, tout aussi facile que de répondre à la question "qui es-tu ?" Je pense qu'Imagho est l'expression de mon moi-musicien le plus personnel, le plus profond. Celui que j'exprime sans chercher à m'inscrire dans une esthétique, un courant. Sketches of Pain par exemple, outre le fait que nous étions trois, c'est surtout moi qui écris et joue de la noise. Secret Name, c'était moi qui écris et joue de la folk. Imagho, c'est moi qui écris et joue la musique que je ressens au moment où je la joue, sans aucune barrière stylistique. Cela peut être presque de la pop, de l'expérimental, du dark-ambient, du quasi-jazz...
Que retiens-tu de toutes tes années musicales et de tes différents projets ?
Jean-Louis Prades : Plein de choses, mais la plus marquante : mon incapacité à m'inscrire dans une esthétique donnée, mon besoin de toucher à tout et d'avancer dans toutes les directions, parfois en même temps, et, en filigrane, mon incapacité à me contraindre. Depuis 1989 (j'avais 20 ans), j'aurai ainsi joué du jazz, du free jazz, de la noise, de l'indus, de l'expérimental, de l'improvisation libre à base de laptops, de l'improvisation libre à base de guitares saturées, du folk, de l'ambient, du field recording (même si on peut difficilement "jouer" du field). J'aurai dans le même temps composé pour le théâtre, monté une pièce croisant jeu et musique, écrit avec Frz une pièce électroacoustique en multidiffusion (8 canaux diffusés dans une galerie), démarré une activité de preneur de sons / producteur... Je suis "victime" d'une sorte de boulimie de musique, de jeu, de création, qui prend un peu le pas sur ma boulimie d'écoute d'ailleurs. J'avance parfois très vite et propose par exemple en ce moment en concert quelque chose de très différent de ce qu'on entend sur Méandres, mon dernier disque. Je ne suis pas passé à autre chose, mais je suis dans une veine différente, que j'explore plus avant.
As-tu l'impression d'avoir évolué depuis tes débuts ? Qu’est-ce qui a fondamentalement changé ?
Jean-Louis Prades : J'ai l'impression d'avoir évolué techniquement, sur mon instrument (il y a 5-6 ans j'ai décidé de renverser les cordes, pour briser les automatismes, et j'ai tout réappris à l'envers - du coup je trouve que j'ai un jeu plus réfléchi parce que j'ai dû réapprendre tout en ayant déjà une forme de maturité) comme dans la production de ma musique, que j'enregistre seul depuis toujours. Je me suis équipé, j'ai appris à faire mieux, pour arriver au fil des années à faire bien, en tout cas, assez bien pour que je sois satisfait. J'ai maintenant mon propre studio, hybride de local de répétition, de lieu de création et de studio de prises de sons et mixages. Mais ce qui a le plus changé est la place que j'accorde à la musique : il y a quatre ans, j'ai décidé de me consacrer beaucoup plus sérieusement à la musique. J'avais été qualifié de musicien du dimanche il y a 20 ans par une programmatrice, ce qui m'avait vraiment marqué et blessé. Cela n'est plus le cas aujourd'hui. Cette décision a permis la création du studio, elle m'a aussi amené à me produire en concert, ce que je ne faisais qu'épisodiquement. J'ai fait bien plus de dates en 2 ans qu'au cours des 15 années précédentes. J'en récolte les fruits aussi en terme de production, puisque cette saison, Méandres est sorti, Contextes 1999 - 2012 vient de sortir, un album de duos avec Mocke a été enregistré et sortira en mai, et que dans le même temps j'ai pu finir le disque sur Brautigan que j'avais commencé en 2011 et réaliser la moitié d'un album chanté (à moins que j'aie réalisé la totalité d'un EP chanté : je ne sais pas).
Comment es-tu passé de l'ambiant dark à une musique plus mélodique plus aérée ?
Jean-Louis Prades : Cela a dû se faire très progressivement, car je ne m'en suis pas vraiment rendu compte. J'ai été très surpris, quand j'ai compilé les titres qui ont donné l'album Contextes 1999 - 2012 de voir à quel point les débuts d'Imagho avaient été angoissants et expérimentaux. Le premier vrai album d'Imagho a été Nocturnes, dans lequel j'inaugurais réellement la formule que je poursuis encore un peu aujourd'hui, basée sur des empilements de guitares acoustiques aérées, et des mélodies lisibles jouées à la guitare électrique en son clair. J'ai gardé cet album en tête en oubliant totalement les débuts plus angoissés. La raison de cette musique sombre est simple : au début d'Imagho, je n'avais que ce projet, je venais d'emménager au fin fond du Jura et étais totalement isolé. Assez vite, j'ai monté Baka! avec Franck Lafay, et Fovea, un trio hardcore. A partir de là, les côtés sombres de ma musique ont fui vers ces deux projets, et la face lumineuse est restée pour Imagho. La personnalité sombre d'Imagho s'est quand même manifestée plus tard, dans l'album Someone controls electric guitar notamment, mais avec moins d'aspérités. Plus tard, d'autres projets ont pris la suite, comme Sketches of Pain, FrzImagho, Blinke, qui ont accueilli les côtés sombres et tendus de ma musique, et j'ai continué à réserver à Imagho la facette la plus apaisée de ma musique. Actuellement, sur le disque chanté que je prépare, comme en concert, je ramène de la distorsion, et je joue de la batterie, probablement parce que je n'ai plus de projet parallèle. |