Dans le cadre de la démarche d'ouverture aux modes d'expression de l'art contemporain impulsée par son président Jean-Paul Cluzel, la Réunion des Musées Nationaux - Grand Palais
poursuit, après les expositions consacrées à Helmut Newton et à Raymond Depardon, son projet d'institutionnalisation de la photographie avec la rétrospective Robert Mapplethorpe.
En coopération avec la Fondation Robert Mapplethorpe et en lien avec le Musée Rodin, elle présente un corpus de pièces uniques, tirages d'époque et polaroïds retraçant l'oeuvre du photographe américain qui ressortit au tropisme des marginalités.
Le commissariat est assuré par Jérôme Neutres, conseiller du président de la RMN-Grand Palais, avec la collaboration de Joree Adilman, directrice de la Fondation Robert Mapplethorpe, Hélène Pinet, conservatrice au Musée Rodin, et Judith Benhamou-Huet journaliste critique d'art auteure d'un "memorial" consacré au photographe.
Il a opté pour un parcours à rebours ante chronologique qui est initié par le fameux autoportrait de 1988 avec la canne à pommeau en forme de tête de mort, retenue comme visuel pour l'affiche de l'événement, dans lequel il voit un homme "encore (un peu) vivant mais déjà dans la postérité de son oeuvre", postérité qui était assurée par la fondation qu'il avait créée, scénographié de manière esthétisante dans une déclinaison de noir, blanc et gris ponctués de violet signée Loretta Gaïtis.
Robert Mapplethorpe
en noir et blanc Né en 1946 et mort prématurément en 1989 victime du sida, Robert Mapplethorpe est le photographe d'une époque, celle des années 1970-1980 marquées par la libération sexuelle et l'affirmation de l'identité gay, et, plus précisément, à travers leur point de convergence qu'est l'homérotisme, de deux microcosmes, celui du milieu arty newyorkais et celui de l'underground sado-maso gay.
Tous ont défilé sous son objectif et cela donne une galerie de portraits des personnalités devenues iconiques présentées façon pêle-mêle, ordonnés autour du "pape" Andy Warhol dans son cadre cruciforme sous les auspices de la sainte mère de l'art que fut Louise Bourgeois.
En 1972, Robert Mapplehorpe, rencontre Sam Wagstaff, de plus de vingt ans son aîné, homme fortuné appartenant à la bonne société newyorkaise et figure dans le monde de l'art contemporain, collectionneur éclairé et grand connaisseur en matière d'art photographique, qui devient son amant, son mentor, son mécène et son agent artistique.
L'artiste autoproclamé qui se cherche en réalisant des collages confidentiels vaguement subversifs et bricolant des bijoux handmade à la mode hippie devient photographe que Jérôme Neutres, qui titre son essai du catalogue de l'exposition "Saint-Mapplethorpe, plasticien et martyr", qualifie de "héraut d'un idéalisme classique revu et corrigé dans le New York libertaire des seventies".
Et il n'hésite pas à comparer ce "grand artiste classique avec une problématique de plasticien" qui serait à la photo ce que Jean Genet est à la littérature, de "sculpteur dans l'âme et dans l'imagination", dont il compare les "sculptures photographiques" aux oeuvres de Michel Ange ("La chapelle Sixtine de Mapplethorpe est le corps"), qui a fait du phallus l'origine du monde en miroir à celle du tableau fameux de Courbet.
Les sculptures photographiques sont celles des années 1980, des photos de nus, des nus de corps masculins, et essentiellement d'hommes afro-américains, très esthétisées représentatives d'une beauté pornogénique.
Ce sont d'excellents exercices de style sur les postures académiques appliquées sur un corps vivant qui bénéficient d'un superbe travail du tireur pour le développement.
A l'instar de l'Enfer des bibliothèques, une salle interdite au mineurs est dédiée aux photos éroto-pornographiques sur le thème des pratiques sado-masochistes des backrooms gays et la nouvelle religion des corps basée sur l'adoration de la verge, substitution christique visionnaire avec le sexe-révolver qui tue.
Robert Mapplethorpe a également photographié, toujours en noir et blanc, quelques femmes et l'exposition propose un focus féminin en miroir autour de celles qui furent des muses-modèles occasionnelles et dont le physique est fort éloigné des canons féminins : une miss muscles, Lise Lisa, championne de bodybuiding, et une androgyne famélique, la chanteuse Patti Smith du temps où il a partagé brièvement sa vie et où elle était son alter ego artistique.
Patti Smith dont il était l'alter ego artistique du temps où il a brièvement partagé sa vie, ce qu'elle relate dans "Just Kids" publié pour le vingtième anniversaire de la mort de Robert Mapplethorpe.
C'était l'époque des
premières tentatives plasticiennes tendance "bondieuseries" d'un jeune homme issu d'un milieu anglo-irlandais catholique.
L'obscène et le sacré. La boucle serait-elle bouclée ? Faut-il voir dans l'idéalisation du corps le symétrique de la répression du corps dans la religion chrétienne et dans l'appétence pour la représentation du sado-masochisme une déclinaison perverse du du sacrifice mystique ?
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