Les Editons 13E Note se dédient aux "auteurs extrêmes sous haute tension" qui sont "les mythes vivants et saignants du siècle de feu, de fer et de plastique dont ils sont les bâtards célestes".
Son coeur de cible est constitué des écrivains qui écrivent pour survivre : c'est Dante Fante, et pour la génération suivante, celle née dans des années 1950, Mark SaFranko et Jerry Stahl, par exemple, qui magnifient la grande loose autodestructrice, geignarde, revancharde ou profératoire, en quête quasi mystique de rédemption.
La plupart de ceux qui sont nés au début des années 1970, dont la jeunesse a été bercée par l'inoxydable credo "sex, drugs & rock'n'roll" et qui se sont perdus dans une Amérique malade, écrivent pour écrire. Ce qui fait une sacrée différence.
Rob Roberge est un "écrivain-rock star". Guitariste du groupe de punk-rock "The Urinals", il écrit et enseigne la création littéraire à l'Université de Los Angeles. C'est aussi cela l'Amérique.
Avec "A tout prix", il livre un roman (auto)fictionnel dans lequel son alter ego littéraire, nommé Bud Barrett, musicien défoncé à la dérive malgré une cinquantaine de cures de désintoxication, parvenu au seuil de la quarantaine revient sur son passé en quête d'une résilience qui lui donnera peut-être une deuxième chance.
Et il en a bien besoin
car au départ, aucune bonne fée ne s'est penchée sur son berceau, il a enquillé les traumatismes et, à peine sorti de l'enfance, il était déjà fait comme un rat car difficile de se construire et s'épanouir entre un père flic violent et alcoolique qui abat un homme sous ses yeux et une mère psychotique infirmière au service des urgences qui emmène son mouflet au travail, où il est abreuvé d'images de corps sanguinolents et perdant tripes et boyaux, et finira par se suicider.
Tout cela tourneboule d'autant plus l'esprit du gamin que dès qu'il sait marcher il joue les voitures-poubelles du petit matin en éclusant les fonds de verre et avalant tous les cachets qui trainent après les folles soirées familiales.
A quoi s'ajoutera très vite la "banale" dépendance médicamenteuse aux antalgiques dérivés d'opiacés - véritable problème de santé publique aux Etats-Unis depuis les années 1990 - et la course aux cachets qu'il paie avec ses cachets de musicien ou ses gains au poker et à défaut en tentant des braquages à la petite semaine aussi foireux que sordides, vendant son sang ou en s'automutilant, notamment les doigts - c'est bien plus rigolo quand on est guitariste - pour obtenir une ordonnance.
Rob Roberge s'affranchit de la linéarité et de la chronologie pour livrer une vie en huit chapitres-focus qui ne sont pas sans évoquer tant en la forme qu'au fond l'oeuvre d'un de ses aînés, "Les carnets de L.A." de James Brown, en y instillant une dose d'humour noir.
Son fan français le plus assidu : son traducteur, Nicolas Richard, qui signe la post-face : "Les récits de Roberge sont des fonctions du second degré où le chapitre à venir est toujours l'inconnue ; en abscisse la souffrance, en ordonnée la déconnade, un axe horizontal tendu vers la mort via la déchéance, et un axe vertical où se déploie le loufoque".
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