Eux aussi me filent un coup de vieux. Et paradoxalement, me retirent quelques années, quelques nuits sans sommeil, quelques cheveux blancs, quelques rides… As de Trèfle. J’ai fait leur connaissance il y a un certain nombre d’années (que la coquetterie me demande de taire) avec un tonitruant haut les mains, haut les mains haut les mains, haut les mains haut les mains, haut les mains haut les mains, oh les mains oh le nain (en boucle et reboucle). Je faisais mes débuts derrière la porte de l’indépendance, découvrais l’autoproduction et les millions de possibilités comme l’embouchure d’un delta. Eux n’en étaient pas à leurs débuts.
Nés en 1997, As de trèfle se caractérise par sa spontanéité, un chant, une guitare, une basse, une batterie et un inoubliable violon. Rendons hommage à Laurent, Laurent, Mike et Géraldine. Non, ils ne sont pas morts, mais une révérence aux vivants est plus plaisante. Ils reviennent avec (Pas) comme tout le monde. Plus rock, plus mur, plus drôle, plus virevoltant.
De la musique festive donc. Oui mais pas que. Des textes décalés, de néologiques métaphores : "je préfère me couper une oreille et me la manger en salade, plutôt que d’entendre ça" ("ça ou d’la merde") ; en révoltes anonymes : "pendant qu’on embauche dans les boîtes à bâton, les fabriques à matraque, et les usines à flingues, on licencie dans les usines à chanson, dans les boîtes à musique, dans les fabriques à bringues, dans les boîtes à cartables" ("Dans les bibliothèques"). Oui, le discours est dénonciateur, mais avec poésie, c’est ce qui rend ces joyeux fêtards terriblement attachants.
"Faudrait tout qu’on complique pour mieux qu’on y comprenne" ("En prendre de la graine").
Quoi d’autre ? Pas grand-chose si ce n’est qu’ils sont comme tout le monde, entre "has been [et] ringard, t’as plus vingt ans de retard, t’es vintage t’es tendance t’as plus de vingt ans d’avance" ("Comme tout le monde"). Ils ne sont que des hommes qui aiment regarder "Les filles" : "c’est comme la mer, ça dépend de la lune, les filles c’est comme la lune, ça dépend de leur mère".
Les refrains sont entêtants, rythmés, vitaminés. Le violon de Géraldine n’y est pas pour rien, elle le transforme en vrille fleurie et diaboliquement entêtante. Que vous vous retrouvez à danser sous la lune avec ce son ne m’étonnerait pas. As de Trèfle auto-reprend sa propre "Jessica", plus rock plus vive, plus diabolique.
Et ce qui fait durer As de Trèfle dans le temps, c’est leur humilité, ils ne se prennent pas la tête, n’ont pas la banane, ni le melon, les chevilles ne sont pas gonflées. Ils rendent un hommage tendre et drôle à notre Jean-Jacques Goldman national et retombent dans l’enfance de leurs premiers titres avec "Ma tige" : "t’es ma farine t’es mon étoile, c’est toi ma clope et c’est moi qui pars en fumée".
Les connaisseurs identifieront Guizmo de Tryo, Alice et Mathilde des Ogres de Barback et Roro, Philly et Daddy de La Ruda… La famille de troubadours chantants invités dans toute soirée entre âmes consentantes et non guindées. |