Tragi-comédie d'Edmond Rostand, mise en scène Dominique Pitoiset, avec Jean-Michel Balthazar, Adrien Cauchetier, Antoine Cholet, Nicolas Chupin, Patrice Costa, Gilles Fisseau, Jean-François Lapalus, Daniel Martin, Bruno Ouzeau, Philippe Torreton, Martine Vandeville et Maud Wyler.
Avec "Cyrano de Bergerac", judicieusement qualifié par le dramaturge Daniel Loayza de "chef-d’oeuvre de pyrotechnie verbale", Edmond Rostand exalte la métrique classique et l'esprit français sous la forme d'une comédie héroïque narrant le tragique destin amoureux du personnage-titre complexé par une laideur dont l'acmé par un appendice nasal proéminent.
Par un grand écart dramatique, hybridant la commedia dell'arte et le drame romantique, il relate une histoire d'amour raté entre un laid complexé qui sublime son amour transi qu'il n'ose avouer par crainte d'être éconduit par la gloire des armes, le dévouement et le goût du panache, et une coquette précieuse éblouie par les apparences et les faux-semblants.
Pour cet étonnant trio de vaudeville tragi-comique avec une belle qui jouit par l'oreille, un fringant cadet beau et un peu sot et un homme qui va vivre par procuration son amour refoulé en devenant l'alter ego épistolaire de son rival entériné par la réplique fameuse "Je serai ton esprit, tu seras ma beauté".
Dominique Pitoiset a opté pour la décontextualisation en transposant la situation au 20ème siècle et en situant l'action dans un lieu unique, celui d'une salle commune d'hôpital psychiatrique qui, avec la présence liminaire de Cyrano de dos tête bandée, évoque l'univers du film "Vol au dessus d'un nid de coucou".
Ce qui n'est pas rédhibitoire sauf que ce décor anachronique, au demeurant dépourvu de valeur ajoutée, n'est pas utilisée à des fins dramaturgiques si ce n'est pour corroborer la déambulation psychotique de certains personnages et pour étayer le second degré d'un parti-pris de mise en abyme au terme de laquelle il s'agirait d'une représentation théâtrale au sein d'un établissement psychiatrique à l'instar des après-midi dansants dans les maisons de retraite.
Cela étant, cette réserve s'efface dès que Philippe Torreton endosse le rôle-titre. Il s'empare du personnage de Cyrano, personnage plus complexe et plus en demi-teintes qu'il n'y paraît, avec mesure et talent et délivre notamment les tirades-culte, celle du nez et celle des "non", en faisant l'économie du cabotinage souvent associé à la faconde du gascon.
Justesse de jeu, truculence maîtrisée et émotion contenue, son interprétation n'encourt aucune critique et il apporte une belle humanité au personnage dont le caractère est souvent limité à celui du matamore au grand coeur et que le metteur en scène a souhaité orienter vers l'atrabilaire malheureux.
Empâté, crâne rasé, moustache et bonnet de "bad boy", il n'est jamais ni ridicule ni caricatural. Il constitue l'élément - et l'intérêt - essentiel du spectacle.
En effet, les autres protagonistes et personnages sont, à l'exception de Daniel Martin qui délivre un beau numéro d'acteur dans le rôle du comte de Guiche prétendant malheureux et rancunier allant jusqu'à une imitation de Louis de Funès, d'insipides silhouettes qui tournent en orbite autour de la planète Cyrano.
L'amant aimé campé par Patrice Costa est transparent, de la faconde de Jean-Michel Balthazar en Ragueneau ne reste que la recette de la tartelette amandine, et Maud Wyler peine à trouver ses marques dans le rôle de Roxane transformée en fille des cités borderline ensuite déguisée en princesse de dessin animé puis en dodue dondon s'empiffrant de chocolats dans sa retraite monacale.
Le spectacle émaillé d'inserts potaches, au rand desquelles la scène du balcon par ordinateur et webcam interposés, Roxane débarquant au siège d'Arras en costume de petite princesse et couronne de Miss France, la bande-son pop, la duègne reléguée dans un vestiaire métallique et l'exhumation de la chanson "Les Trois cloches" interprétées par Edith Piaf et les Compagnons de la chanson, ne fera pas sans doute pas l'unanimité.
Demeurent l'imposante partition de Rostand et ce diable de Philippe Torreton, souvent critiqué, qui en a encore sous la semelle. |