Elle fait de nous des êtres prudents, des lâches, des auto-médicamentés… Elle nous inhibe, nous révèle, nous immerge dans l’ailleurs… Chronique, soudaine, latente, inconsciente, réelle… La peur est omniprésente depuis la nuit des temps dans nos petits esprits depuis Néandertal et même avant. Quelle que soit la forme que nous lui donnons, elle incarne l’ambiguïté de l’impalpable et du présent.
Ils sont nombreux, les auteurs, à s’être penchés sur son incarnation : un tueur masqué, un zombie, une caméra au poing dans les bois, la solitude, l’enfermement, le harcèlement et j’en passe. Maupassant la nomme Le Horla, cette chose qui le suit partout, le hante et finira par tuer son héros. Cette nouvelle est pionnière dans le paysage de la science-fiction.
Ecrit à la fin de sa vie, alors qu’il sombrait lui-même dans la folie, Le Horla est une œuvre fantastique de Guy de Maupassant, que vous avez peut-être eu la chance d’étudier avec Madame Broug en quatrième ? Bref, Guillaume Sorel a certainement été fort touché par la lecture du roman, au point de le storyboarder complètement, et de nous livrer le résultat de sa petite cuisine.
Une bande dessinée, quoi de mieux pour réconcilier les férus de littérature classique et les lecteurs des toilettes (pour qui sujet + verbe + complément circonstanciel est largement suffisant pour s’exprimer) ? Non, messieurs-dames, la littérature classique ne tourne pas en rond, regardez les détails dans les expressions du narrateur, il faut bien ça pour décrire les yeux semblant sortir de leur orbite, les sourcils fuyant sur le front luisant de cette sueur froide qui descend le long de la colonne et fait battre le cœur de manière asynchrone.
L’histoire reste fidèle à l’originale de Maupassant, Guillaume Sorel traduit chaque détail en image, en aquarelle, en traits fins et précis. Un sacré boulot ! Parce que Le Horla n’est pas caractérisé par l’abondance de ses dialogues, mais bien par une introspection croissante du narrateur, persuadé qu’une force maléfique occupe sa maison.
La silhouette raide du narrateur, égaré, en perdition hors de ses murs, le désarroi d’un homme qui sent la folie prendre possession de ses sens, l’effarement d’un cauchemar éveillé, les battements de cœur incontrôlés, les questions sans réponse qui se bousculent dans sa tête… Mais comment échapper à ce Horla ?
Le narrateur trouve la solution dans la mort (Maupassant était un fan de Schopenhauer le pessimiste). Mais les questions soulevées à l’époque par l’histoire restent d’actualité. Il existe quelque chose de supérieur à l’homme. Quelque chose de néfaste. Un alien sur-intelligent ? Un zombie à l’idée fixe ? Une créature plus forte, plus maligne, plus dégourdie, plus fine.
Nous-même ?
En ces temps de peur et d’appréhension, Guillaume Sorel nous rappelle que nous n’avons rien inventé. En dépoussiérant une vieille nouvelle avec ses agiles pinceaux, il réussit le coup de génie de jouer avec notre paranoïa semi-latente et de nous soulever les mêmes questions existentielles : mais qui sommes-nous ? |