Hot Dreams : un album en clair-obscur
"I wanna find another daydream, another nightmare" ("Hot Dreams")
Trois ans après Creep On Creepin’ On, les canadiens Timber Timbre - Taylor Kirk, Simon Trottier et Mika Posen - sont de retour. Leur nouvel album Hot Dreams (label PIAS) nous replonge dans leur univers particulier : un monde cinématographique, certes bizarre et un peu effrayant mais aussi attirant et sensuel.
Se lancer dans l’écoute des dix nouvelles chansons de Timber Timbre ressemble à s’aventurer dans le terrier du lapin. Dès les premières notes, nous descendons vers les ténèbres et nous sommes transportés, comme Alice, dans un univers fantasmagorique. Comme la voix off d’un film, le chant grave de Taylor Kirk se déploie avec sobriété et sérénité. Le rythme est souvent pausé et le ton presque narratif. Le débit de parole constant ne nous laisse aucun moment de répit. Au fur et à mesure que Kirk égrène ses mots de manière envoûtante, des images étranges et inquiétantes se dessinent devant nos yeux. Elles s’accumulent dans notre esprit, comme les évènements d’un rêve qui s’enchaînent sans cause apparente.
Ce sont des paysages qu’une ruine ronge sans repos, des paysages comme le "Grand Canyon" dans le sixième morceau, où la mort paraît prête à s’élancer sur nous à chaque instant. Les paroles de "Beat the drum slowly" laissent entrevoir un ensemble dominé par la déliquescence, avec un imaginaire qui n’est pas sans rappeler Sunset Boulevard de Billy Wilder : "The swimming pool / yards marked by emerald coffins / we heard crimes often and softly" ("La piscine / des jardins marqués par des cercueils émeraude / nous entendons des crimes souvent et doucement"). Les morceaux percent à jour des scènes décousues porteuses d’une intimité qui refuse de se dévoiler complètement. Et c’est le mystère irrésolu de cette musique qui paradoxalement éblouit, ensorcèle, et captive.
À cette étrange attirance du ténébreux vient s’ajouter celle de la volupté. Hot Dreams nous immerge dans une réalité autre, celle de l’esthétique fin-de-siècle où les plaisirs sont délibérément mélangés avec la décadence. Le voile des pénombres se lève peu à peu ou plutôt se déchire lentement par l’effet de brefs rayons de lumière qui traversent les diverses chansons. Le titre éponyme est une claire invitation à la sensualité qu’accentuent les cuivres de Colin Stenton. Avec une grande maîtrise et limpidité, les musiciens amplifient la gamme de leurs sons pour adopter des tonalités différentes et variées. "Curtains!?" par exemple emprunte au Krautrock et au R&B.
L’éclairage tenu des néons de la vidéo promotionnelle se projette sur l’univers cauchemardesque : les musiciens réussissent un tour de force. Ils transforment l’obscurité en un tableau fourmillant de délices où la "confusion" n’est pas angoissante mais tentante et "tiède" comme l’indiquent les paroles de "Grand Canyon". Hot Dreams n’est pas l’évocation d’un monde que nous voudrions fuir à tout prix, même si cette invitation est proposée dans "Run from me". Timber Timbre tisse une toile d’araignée entre fascination de l’énigme et désir dans laquelle nous sommes fatalement piégés, ils édifient un labyrinthe où nous nous retrouvons coincés mais d’où nous refusons de nous échapper. |