Détrompez-vous les simples d’esprit (et les autres aussi d’ailleurs), Aïssa Lacheb est un homme, un vrai, un brut de chez Mennen qui a décroché son diplôme d’infirmier après 10 ans d’incarcération, parce qu’il avait fait une GROSSE bêtise. Repenti, assagi, Aïssa Lacheb, fils de harki, revient sur ses expériences dans ses romans. Le dernier Dieu en soit garde retrace son enfance dans la ville de Reims.
Ce que les politiques nous décrivent maintenant comme des occupations de hall d’immeuble, de la petite délinquance, de banditisme en gestation et je ne sais quelles autres tournures en oxymore, c’est l’enfance d’Aïssa Lacheb et de ses potes de quartier. Entre guerre des boutons et faits divers ordinaires, le roman est d’abord un tableau des années 70. Avant la crise et la paparazzisation de la politique.
Dieu en soit garde est aussi un plaidoyer pour la jeunesse, qui veut faire ses preuves, vole des blousons et braque des superettes, qui entube des forces de police et méprise les autres quartiers. Sans méchanceté avérée, Aïssa et ses amis déambulent entre les barres d’immeubles et les caves miteuses, ils comblent leur ennui en jouant avec ce que leur environnement leur inspire.
Trop vieux pour la balançoire des parcs de jeux, trop jeunes pour s’intéresser à l’histoire des murs de leur ville (butins de guerres, couronnement de rois Francs… Reims reste chargée d’histoire), il ne reste à ces jeunes oisifs que le houspillage des voisins pour s’amuser. Mais la pente de ces jeux est glissante : alcool, drogue, armes conduisent inévitablement à la case prison.
La tendresse qu’Aïssa porte au quartier qui l’a vu grandir transparait dans les lignes. Ecrit à la première personne, l’auteur est à la fois acteur et spectateur du roman, la ligne passé-présent est floue, donnant aux souvenirs la nostalgie des moments perdus que nous connaissons tous, quel que soit notre âge. Quand on lui pose la question, Aïssa n’a plus de contact avec les super comparses de l’aventure de Dieu en soit garde, entre came, prison et cimetière, ils se sont perdus dans la jungle urbaine, et n’en sont pas tous revenus.
Dans cet ouvrage, AÏssa Lacheb ne remet pas en cause sa conduite, il semble éprouver un pincement au cœur à l’idée de cette insouciance perdue, mais n’évoque aucun regret au souvenir de ses méfaits. C’est exactement ce qui fait la force du roman, ses personnages attachants qui n’ont aucun besoin de notre pitié, mais qui ont leur courage en exemple, celui d’avancer droit devant, sans se soucier des conséquences… n’est-ce pas exactement ce qu’est la liberté ?
Certes, ces enfants quasi-ados et pas assez adultes sont égoïstes et insensés, et la démonstration de leur escalade de violence n’est un exemple pour personne, surtout quand les conséquences sont connues et prévisibles. Et là réside tout le génie d’Aïssa Lacheb qui, d’un roman autobiographique, nous renvoie ce que la société fait à sa jeunesse.
Parce que le quartier Croix-Rouge pourrait être n’importe quel autre quartier dans lesquels les années 60 ont entassé les populations exploitables, ouvrières, immigrées, non-bourgeoises, les exilés des campagnes et les petites mains. L’idée n’était pas mauvaise, les barres HLM étaient destinées à loger cette masse de population venue prêter main forte à l’essor des villes. Oui mais maintenant ? A part exploser les plus insalubres après avoir invité les habitants à déserter, que reste-t-il de ces populations ? Que font les représentants de ces citoyens ? Qu’advient-il de leurs familles ? Quel avenir leur est proposé ? Ce qu’il ressort de ces quartiers est la misère sociale et la chute aux enfers de nombres d’entre eux. A qui la faute ? Ne peut-on vraiment rien faire pour empêcher ça ?
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