Spectacleopératique sur un livret de Wang Renjie d’après You Ffengwei, mise en scène de Lu Ang, avec Gong Wanli, Zeng Jingping, Lin Fufu, Wu Youqing, Liao Shuyun, Lin Xiaowei, Zheng Yasi et Guo Zhifeng.
A l'initiative de son directeur Patrick Sommier, la MC 93 donne au public curieux l'occasion de découvrir le Liyuan, théâtre traditionnel chinois datant du 13ème siècle, dont un opus "La Veuve et le Lettré" est présenté par le Liyuan Experimental Opera Theatre.
Sa directrice, Zeng Jingping, qui appartient à la dernière génération de comédiens formés par les maitres anciens avant la Révolution culturelle, a entrepris de s'investir dans le répertoire de ce théâtre joué, dansé et chanté ressortant au conte métaphorique et didactique servant à la diffusion de préceptes rigoristes en procédant par la voie de l'habile détournement.
Ainsi la partition originale revisitée par le poète et dramaturge Wang Renjie met subtilement en exergue les thèmes du culte de la personnalité, de la tyrannie du potentat, de la corruption, du désir et de la condition féminine.
Elle se présente comme une comédie moliéresque avec un barbon, haut fonctionnaire, qui emporterait bien sa jeune et belle épouse dans son tombeau.
A défaut, et sans savoir qu'il précipitera le destin, il oblige son voisin lettré et débiteur pécuniaire, homme timoré craignant les femmes, à devenir le gardien de sa veuve afin d'empêcher non seulement un adultère posthume mais également toute velléité de remariage.
Ainsi l'opus est ponctué de vrais scènes comiques avec les deux démons aux allures de joyeux diablotins qui viennent chercher l'âme du défunt (Lin Xiaowei et Guo Zhifeng), les deux jeunes et malicieuses élèves (Zheng Yasi et Liao Shuyun), voire clownesques avec le vieux conseiller (Lin Fufu) et la truculente vieille servante (Wu Youqing).
Par ailleurs, il se développe autour d'une délicieuse romance émaillée de traits parodiques sur l'émoi amoureux dispensée par Gong Wanli très drôle en maladroit saisi entre la crainte des foudres de l'enfer et des délices de la chair, et Zeng Jingping, considérée comme la plus grande comédienne de Chine, au jeu gracieux magnifiquement expressif, dont les bras et mains vibratiles évoquent des ailes d'oiseau.
Inscrit dans le registre opératique, le spectacle se caractérise notamment par la lenteur du rythme et la prédominance du chant et de la gestuelle qui, comme la déclamation, sont soumis à une rigoureuse codification dont la signification n'est pas intuitive et impose, à l'instar par exemple du théâtre baroque, un nécessaire temps d'adaptation.
Dans de somptueux costumes traditionnels recouvrant l'intégralité du corps et visages peints, les officiants, tous remarquables, interviennent sur un espace scénique strictement délimité, vide sans décor, à peine quelques accessoires, et dans une mise en scène épurée de Lu Ang qui participent de la même démarche esthétique tendant davantage à susciter qu'à démontrer.
Délesté de tout repère culturel, le spectateur occidental fait l'expérience de l'apesanteur et savoure la béatitude du lâcher prise spatio-temporel. De la magie du théâtre. |