Comédie dramatique de Samuel Beckett, mise en scène de Stéphane Braunschweig, avec Claudia Hübbecker et Rainer Galke.
Même les réfractaires à l'oeuvre beckettienne et les non germanophones seront époustouflés voire conquis par cette version en allemand sur-titré de "Oh les beaux jours" grâce à l'exceptionnelle interprétation de Claudia Hübbecker dirigée par Stéphane Braunschweig.
Comme toujours chez Samuel Beckett, la partition de "Oh les beaux jours" s'ouvre sur une inconnue spatio-temporelle et une énigme quant à la causalité de la situation qui s'avère aussi déconcertante que polysémique.
Une femme enterrée à mi-corps dans un bubon tellurique et un homme souvent "hors-champ" : métaphore du naufrage de la vieillesse, de la vacuité du couple stérile, de la nécessité d'une nouvelle conception du théâtre qui s'affranchirait du dogme de la situation, angoisse existentielles? Et/ou suprématie de la parole comme rituel de conjuration de la finitude, parler pour savoir que je suis vivant.
Entre l'ode positiviste à la beauté du jour nouveau, ses rituels quotidiens, mécanismes défensifs contre une angoisse qui se matérialise par son antienne interrogative "Et maintenant ?", et ses tentatives phatiques avec son discret compagnon Willie (Rainer Galke), Winnie soliloque, machine à égarée qui semble tourner à vide.
Stéphane Brunschweig a conçu un no man's land hightech métallique, entre anticipation et virtualité en 3D : des monticules semblables à des toiles d'araignée boursouflées. Celui qui a moitié absorbé Winnie évoque l'armature des crinolines-cages des "valseuses" créées par Jean-Paul Goude pour le défilé du Bicentenaire de la Révolution française sur lequel aurait été déposé un agglomérat bleu Klein rappelant le buste de "La mariée" de Niki de Saint-Phalle.
Un inquiétant oeil dystopique, celui de la caméra qui, à l'instar de la caméra-vérité, projette en fond de scène en direct et en continu l'image en gros plan de la captive dont aucun cillement n'échappe au regardant. La vie, l'agonie et la mort en direct.
Pas davantage d'échappatoire pour la comédienne dont toute l'attitude est scrutée et amplifiée de l'ébauche de sourire au regard incrédule qui se voile.
Claudia Hübbecker, silhouette gracile, boucles soyeuses et chemisier élégant, campe magistralement ce valeureux petit soldat qu'est Winnie désarmante d'humanité et de fragilité, futile et incrédule, tiraillée entre une posture optimiste et le désespoir de ce qu'elle pressent tout en s'accrochant à son instinct de survie.
Elle tient la partition avec une rigueur absolue et il suffit de s'affranchir du surtitrage en se concentrant sur son jeu pour - enfin - entendre Beckett et comprendre - peut-être – avec le silence des larmes le (non)sens de la vie. |