Monologue dramatique écrit par Delphine Gustau dit par Coralie Emilion dans une mise en scène de David Negroni.
A l'instar de certaines bandes-annonce qui présentent les uniques meilleures images du film, les titres longs, tarabiscotés et intrigants sont parfois le seul intérêt d'un texte ou d'un spectacle.
Tel n'est pas le cas de cette mystérieuse "mécanique de l'ornithorynque" décortiquée par Delphine Gustau qui aborde une thématique aussi sensible que passionnante, celle de la relation père-fille mais d'une manière plus singulière que le seul angle du fameux complexe d'Oedipe.
En effet, elle s'arcboute sur le regard du père, le regard du premier homme qui idéalise ou diabolise la figure masculine, et le regard du père vécu ou du père symbolique qui va influencer sinon conditionner la vie amoureuse et la sexualité de la fille, qui, en l'espèce, demeure figé du fait de la mort du père.
Comme le dispositif qui a assuré la survie de cette bizarrerie de l'évolution qu'est l'ornithorynque, se met en place, à l'insu du plein gré de la bien-nommée Alice, soutenue par la pulsion de vie, une mécanique à base de simulacres qui vise à détruire la stratégie d'évitement et de contournement qu'elle a mis en place et qui l'inféode à ce regard pour conduire au deuil du père et de la petite fille, à l'acceptation de soi, à l'émancipation et à la féminité adulte.
Cette partition monologale subtile, qui ne cède ni à au dolorisme naturaliste ni à la psychologie de bazar, mène, comme l'indique son auteure, à "la transformation vitale d’une âme qui fait sa mue". Protéiforme et naviguant entre fantasmes et névroses dans un entre-deux identitaire, elle résiste d'autant plus à l'étiquetage dans la mise en scène inspirée de David Negroni.
Dans un décor conçu par Zoé Grelié qui évoque l'instabilité et le déséquilibre par ses meubles aux angles biscornus d'un blanc presque clinique, David Negroni propose une belle et inventive déclinaison de la traversée du miroir pour suivre cette Alice au pays du père qui repose sur la dramaturgie du corps pour laquelle il s'est assuré la collaboration du chorégraphe Bouziane Bouteldja pour peaufiner la fluidité d'une gestuelle toujours en mouvement.
Dans ce seul en scène délicieusement épicé entre soliloque, confidence et dialogue avec l'altérité, qui revisite et revigore le genre, Coralie Emilion, Alice empathique, plantureuse et pétulante dans une longue et virevoltante robe rouge, porte superbement le texte, comme elle est portée par celui-ci, pour elle écrit sur mesure.
Une belle réussite pour cette heureuse conjonction de talents. |