Ainsi que la célèbre le Petit Palais avec l'exposition "Paris 1900", la Belle Epoque, qui consacre l'ascension sociale de la bourgeoisie, le microcosme des commerçants qui se sont grassement enrichis lors de la révolution industrielle du Second empire, est celle des nantis, des fêtes et divertissements, des demi-mondaines croqueuses de fortunes et des excentriques.
C'est également la vogue de la littérature d'évasion et des histoires "rocambolesques" dispensées par les grands feuilletonnistes et du vaudeville au comique grinçant qui épingle les bourgeois, Feydeau reprenant le flambeau satirique de Labiche.
Jean-Jacques Bedu combine les deux dans "Moi, empereur du Sahara" en racontant l'obsession mégalomaniaque d'un millionnaire français qui a réellement existé, la réalité dépassant souvent la fiction, un des héritiers de l'empire du sucre Lebaudy, dont il dispense l'épopée avec une belle verve plumitive.
Jacques Lebaudy est un des rejetons "dégénérés" d'un mariage de raison et de deux époux mal assortis : un fils de "sucrier", boursicoteur sans scrupule qui avait renfloué la raffinerie familiale doublé d'un bambocheur inféodé à l'argent, et la fille d'un haut magistrat, de ces familles "où l'argent ne se gagne pas, on l'épouse", monarchiste frustrée d'être dépouvue de particule qui croit aux vertus de la monarchie pour lutter contre la corruption sociale, bigote et pudibonde refoulée sexuelle.
D'une enfance privée de caresses entre le mépris conjugal, la tyrannie maternelle imposant une rectitude morale qui se traduit par l'apprentissage de la froideur, de la sévérité et de la rigidité, et l'éducation paternelle par l'exemple, la pratique des tripots et la vénération du dieu argent, émerge un homme sans qualité, inculte et foncièrement sot, qui a compilé les "idéaux" de ses deux géniteurs dont l'absence d'affect, la "débauche" paternelle, sa haine des Juifs et des Francs-maçons, les "deux plaies de la République", le goût de l'autocratie et un orgueil démesuré.
Quand meurt le pater familias, surnommé "le grand coquinos" par son épouse, 215 millions de francs-or tombent dans l'escarcelle de la veuve et de ses affreux marmots, de quoi satisfaire largement leurs lubies respectives.
Jacques Lebaudy, "ce grand dadais, jaune et long, chevelu, avec sur la figure des boutons, [qui] présentait des signes évidents d'aliénation mentale" dixit sa mère, admirateur des grands conquérants de l'Histoire, et notamment Napoléon, peut enfin mener à bien son projet de devenir le fondateur d'un nouvel empire.
Reste à trouver un premier territoire à conquérir et, ainsi sur l'illustration d'époque signée Camara pour le périodique socialo-anarchiste "L'Assiette au beurre" reprise pour la couverture du roman, le Sahara sera le fief des opérations de "S.M. Jacques 1er",
dont l'annexion n'est pas signifiée par un planté de drapeau mais par l'enfouissement d'une boîte de thon mariné en conserve...
Le tout est à l'avenant dans ce jubilatoire roman picaresque à la Ponson du Terrail riche en épisodes délirants et ponctué de terribles et savoureux portraits à la Daumier qui, à un deuxième degré de lecture, brosse une fresque socio-politique de l'époque à la résonance contemporaine. |