Réalisé par Vivian Qu. Chine. Drame. 1h33 (Sortie le 13 août 2014). Avec Lu Yulai, He Wenchao He, Yong Hou, Zhao Xiaofei, Xiang Qun et Liu Tiejian.
Vivian Qu, productrice de films importants comme "Black Coal", est une fer-de-lance du cinéma indépendant chinois. "Trap Street" en sera une nouvelle preuve.
Commencé dans l'insouciance, se promenant au gré des déambulations cartographiques de son jeune héros dans Nankin, le film fournit un portrait impressionniste d'une grande ville chinoise où l'on sent que le bruissement de la modernité fait face à l'inertie, voire la résistance, du monde d'avant, celui d'un système D communiste dans lequel les habitants avaient fini par trouver un point d'équilibre, celui qui rend les choses vivables.
Mais Liu Qiuming va découvrir qu'il y a un envers du décor et "Trap Street" cessera vite d'être une balade fantaisiste pour devenir un véritable "thriller", un film angoissant où tout ce qui lui paraissait des certitudes s’évanouit, où la réalité devient mouvante et cauchemardesque, où l'insouciance fait place à une méfiance paranoïaque.
Fini le temps du zoo et des auto-tamponneuses pour un jeune homme amoureux : désormais, il faut traquer les hypothétique micros ou caméras dans la chambre d'hôtel où l'on emmène sa "petite amie"...
En anglais, "Trap Street" signifie "rue piège". L'expression désigne une rue qui n'existe pas qui est inventée pour piéger des délinquants virtuels. Ici, c'est tout le contraire : le jeune homme, cartographe avide de GPS, découvre une rue qui existe mais qui n'est pas répertoriée. Quel secret cache-t-elle ? Pourquoi a-t-il fallu qu'il tombe amoureux d'une inconnue qui travaille dans cette rue et qu'il cherche à rencontrer "par hasard" comme dans une comédie romantique ?
Dans la Chine de Vivian Qu, où les revues féminines sont rédigées exclusivement par des hommes, l'amour est incompréhensible. Comment expliquer à un policier qu'on ne fait pas de l'espionnage mais qu'on guette la sortie de celle qu'on aime ?
"Trap Street" est le récit d'une innocence perdue. Comme Liu Quiuming, bien des jeunes Chinois nés après le maoïsme s'imaginent que le "monde nouveau", avec ces promoteurs qui n'ont aucune pitié pour les vieux quartiers de Nankin, a déjà fait s'effondrer l'ancien. Mais, si on peut installer des systèmes de sécurité privés partout, utiliser des clés USB, jouer à des jeux vidéos ou "chater" sur internet, cela ne signifie pas que la "liberté" a gagné.
Parabole pessimiste, avec son filmage "antonionien", "Trap Street" de Vivian Qu n'est pas encore sorti en Chine. La réaction des autorités sera intéressante : n'y verront-ils qu'un "thriller", un suspense bien mené avec un jeune acteur, Lu Yulai, bon exemple du jeu chinois à la fois très rentré et très expressif, ou une attaque en règle contre l'ambivalence du pouvoir politique qui n'entend pas perdre le contrôle de sa société ?
Reste qu'après "Touch of Sin", "Black Coal", "People Mountan People Sea", "Les Trois sœurs du Yunnan" sans parler des films à grand spectacle comme "Detective Dee", "Trap Street" démontre que, dans le domaine cinématographique aussi, la Chine s'installe peu à peu à la première place mondiale. |