Le groupe Bon Débarras est un groupe de folk traditionnel, dans lequel on joue de la planche à laver, du banjo, de la guitare et de la contrebasse et avec lequel on danse la gigue avec des chaussures à bout ferré. Les musiciens sont excellents. Festif, bon esprit, le trio assure l'ambiance et mouillent la chemise au propre comme au figuré.
Charles-Baptiste, le français de l'étape, fait de la variété paresseuse. Il évoque Alex Nevski pour introduire sa chanson "aussi cool que toi", mais les compositions des deux artistes semblent venir de deux mondes tellement différents qu'on ne peut même pas comparer, les bluettes de Charles-Baptiste manquant totalement de consistance.
Emile Proulx-Cloutier vient du cinéma et du théâtre. C'est certainement ce qui peut expliquer l'interprétation sous forme déclamative de ses compositions qui le classe dans la famille d'artistes comme Jean Guidoni ou Philippe Léotard. Jouant des ambiances par des lumières en clair-obscur, lui au piano et accompagné d'un violoncelliste, Émile Proulx-Cloutier se révèle plus poète ou conteur que chanteur. On écoutera avec attention son disque parce que découvrir cet artiste en live ne permet pas de saisir toute la subtilité des textes.
Ingrid St-Pierre débute ensuite son spectacle par "La mante religieuse", l'histoire d'une femme qui tue ses amants. Le texte est caustique et réussi. Mais elle peut aussi faire mouche dans l'émotion avec, par exemple, "Les Paravents" sur la maladie d’Alzheimer de sa grand-mère. Malheureusement, la jeune femme ne semble prendre que peu de risques musicaux et rester dans les sillons très attendus d'une pop variété très sage.
Le soir, sous le chapiteau, on découvre Bodh'aktan. Le look kilt et t-shirt des Ramones est amusant, mais je fuis rapidement ce groupe de rock celtique qui reprend "Du Rhum, Des Femmes" de Soldat Louis avec cornemuse et guitares électriques. Le public aime, mais c'en est trop pour moi. Je pars me placer pour le concert des Trois Accords.
Il est assez difficile pour nous, européens, de comprendre comment un public familial peut entonner en choeur les paroles des Trois Accords. Une sexagénaire et son mari qui hurlent à tue-tête "Dans mon corps de jeune fille, je sens des changements", ou des teenageuses qui entonnent "Quand je me touche dans le parc, les passants font toutes sortes de remarques avant que les policiers débarquent". Le chanteur, monté sur ressort et affublé d'une improbable coupe au bol avec mèche, ne ménage pas son énergie. Ses compères prennent des poses très rock'n'roll auxquelles on ne croit pas un instant, sauf peut-être Miss Tatoo-discount, juste devant moi, qui fait les cornes du diable comme si elle assistait à un concert de métal.
En final, et donc dernier morceau de la tournée "J'aime ta grand-mère" ("Je veux faire à ton père, plein de demi-frères". Ces paroles sont magiques), les techniciens rejoignent le groupe sur scène. C'est donc juste après "Je m'en retourne à l'institut", que nous quittons le site. Devant moi, une voiturette-fauteuil roulant, dont le propriétaire retournait peut-être en vrai à l'institut. Tant de moments de vie aussi irréels et surréalistes autour du concert en font un moment unique dans mon année musicale. |