Il y a des disques qui coulent de source. Il y a des disques si sombres qu’ils en sont insondables. D’autres au contraire ont le pouvoir de vous apporter une certaine lumière. Ce nouvel opus des Blonde Redhead est un disque à questions. Comment arriver à se renouveler, à avancer sans regarder en arrière ? Comment trouver l’équilibre entre épure et néant, entre accessibilité et complexité ? C’est une question de principe, les disques à questions sont toujours plus intéressants que ceux qui pensent apporter des réponses… Par contre, ils sont souvent plus ardus, plus difficiles d’accès. C’est le cas ici, ce Barragàn est peut-être le disque le moins "facile" de Blonde Redhead depuis Melody Of Certain Damaged Lemons sorti en 1998.
Un groupe qui se pose des questions est un groupe qui avance esthétiquement, au risque et c’est le cas avec le trio Américain de gagner et de perdre des fans en cour de route. Et c’est aussi une question de principe, les groupes qui prennent des risques, qui évoluent sont toujours plus intéressants, même si parfois ils se plantent. Blonde Redhead affectionne suivre son propre chemin, en ne regardant jamais en arrière, privilégiant l’expérimentation au style noise, pop, art-punk,rock, électronique approche très New-Yorkaise en soit.
Le nom de l’album Barragàn fait référence à l’architecte mexicain du même nom. Reconnu pour ses tendances modernistes, Luis Barragàn (1902-1988) a travaillé sur la notion de ligne épurée, de matière première brute, de maîtrise de l’espace et de la lumière. Un titre qui n’a pas été choisi au hasard tant ces concepts se retrouvent dans ce disque. C’est avec retenue que Blonde Redhead se présente à nous, suivant les traces laissées par leur album précédent Penny Sparkle. Une retenue si extrême qu’elle pourrait flirter avec l’hypnose mais aussi parfois avec la monotonie ou l’ennui.
Le trio joue sur la corde raide, on adhère ou pas, chacun étant libre de choisir de quel côté penche la balance. Le solo de flûte dans une gamme pentatonique du titre d’ouverture ("Barragàn") en est un parfait exemple. L’intensité est toute rentrée, distillée avec parcimonie et subtilité. Le silence entre les notes, les espaces, la matière sonore construite autour de quelques éléments (mélodiques, modaux, rythmiques, instrumentaux, les jeux de constructions ("Defeatist Anthem (Harry and I)" qui semble être deux morceaux en un)) ont la même importance, voire sont plus importants que la forme des morceaux ou que les mélodies.
Barragàn est un labyrinthe ouvertement inaccessible, baroque, où le chemin semble difficile à comprendre, car justement la notion même de chemin est supprimée. Une fois que l’on accepte cet état de fait, les morceaux deviennent évidents. Exercice risqué que le minimalisme. Blonde Readhead y laisse des plumes. Mais sur la longueur, le disque passe d’intriguant à envoûtant, avec de véritables pics ascensionnels ("Mind To Be Had", "Cat On Tin Roof", "Dripping", "The One I Love", "No More Honey", "Penultimo"). Ce Barragàn est donc une affaire d’atmosphère, d’offre et de théorèmes, d’ouverture et de complicité. A vous d’accepter ce qu’il a à offrir !
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