Comédie dramatique de Christian Morel de Sarcus, mise en scène de Richard Fériot, avec Eliezer Mellul et Richard Fériot.
Avec "L'entrevue de Badajoz", Christian Morel de Sarcus romancier et dramaturge, poursuit son exploration des relations familiales douloureuses et conflictuelles articulée autour de la personnalité, souvent monstrueuse, de la mère qui instrumentalise ses enfants pour attiser et liquider la guerre conjugale.
En l'espèce, l'opus traite de la thématique de la relation père-fils qui, entre entre la joyeuse complicité testorénée et la haine réciproque, ouvre un large champ dramatique.
A l'automne de sa vie, un homme à la santé altérée, Grand d'Espagne et militaire rallié à la cause franquiste, accepte de recevoir, et revoir après de longues années, un fils qui a suivi sa mère dans sa fuite et son exil au Portugal et qui vient solliciter aide et assistance pour adoucir les derniers jours de cette dernière.
L'entrevue, conçue comme une confrontation, se déroule dans une déflagration de violence, de haine et de douleur, sans pitié ni pardon, menée par un père qui déverse toute son animosité contre ce fils renié, fils artiste, homosexuel et libertaire, qui ressemble tant à une mère dépourvue des qualités espérées, et qui ne pourra jamais remplacer l'autre fils, le seul digne d'une dynastie illustre, mort dans un stupide accident à la fleur de son âge.
Sectaire, cynique, imbu de sa naissance et de son sexe, il traduit tout le mépris de sa caste à l'encontre du peuple, de la piétaille et des femmes qui ne sont que des machines à enfantement et se fait le chantre des grandes valeurs morales, celles qui font l'honneur et la gloire des héros.
Mais ce qu'il reproche à son fils et de dont il le punit par sa colère et son intraitabilité dévastatrices, c'est son propre échec à ne pas avoir pu créer quelqu'un à son image, quelqu'un qui aspire au même idéal de grandeur. Une figure de père qui ressortit à celle traitée dans le théâtre de Henry de Montherlant, ce qui n'est pas la moindre des références.
Car ce père c'est le roi Ferrante de "La Reine morte", le Georges Carrion de "fils de personne" et "L'entrevue de Badajoz" contient en filigrane les grands thèmes montherlaniens que sont l'angoisse existentielle, comment survivre à sa jeunesse et à ses rêves brisés, le drame du pouvoir et de la grandeur qui isole, la tragédie de la puissance et de la faiblesse ainsi que l'insoumission au père et le caractère labile des sentiments.
Le fils est interprété avec sobriété et justesse par Richard Fériot, dont le physique évoque celui du Patrice Chéreau des années 1970, qui assure également une mise en scène tendue et nerveuse.
Dans le rôle du père, Eliezer Mellul. Grand comédien qui peut faire le grand écart stylistique entre Labiche ("Un chapeau de paille d'Italie") et Montherlant ("Les célibataires") en passant par une extraordinaire incarnation en décadent huysmanien de "La voix humaine" de Jean Cocteau déclinée au masculin.
Il trouve en l'espèce, dans cette partition écrite à son intention, un rôle sur mesure à la hauteur de sa démesure. Et il incarne parfaitement ce personnage ambivalent, obsédé par la faiblesse, notamment celle des sentiments et des émotions qui doivent être jugulées, et consumé par ses passions. |