Tragédie musicale de Gabriel Calderon, mise en scène de Adel Hakim, avec Andrés Alegría, Carlos Briones, Pablo Dubott, Ignacia Goycoolea, Carolina Alarcón et Angélica Martinez.
Le Théâtre des Quartiers d'Ivry présente une nouvelle fois la "trilogie uruguayenne" consacrée au jeune dramaturge Gabriel Calderon surnommé "l’enfant terrible du théâtre uruguayen" avec trois de ses opus mis en scène par Adel Hakim.
Avec ses auteurs nés dans les années 1980, le jeune théâtre sud-américain, présenté comme "en effervescence" depuis l'arrivée du troisième millénaire, creuse les sillons tracés par ses aînés que sont, entre autres, Rodrigo Garcia, Rafael Spregelburd et Claudio Tolcachir, à savoir la satire radicale et subversive des institutions héritées du colonialisme espagnol, au premier rang desquelles la famille et la religion, et la critique politique avec la hantise et l'héritage d'un pays dont l'Histoire du 20ème siècle a été traversée par la dictature militaire.
Avec la reprise de "Ore" et " Ouz", Adel Hakim propose au public français, qui a également pu voir "Villa+Discurso" en 2012 au Théâtre des Abbesses, de découvrir "Mi munequita", en français "Ma petite poupée", interprété en espagnol par les comédiens de la Compagnie La Mala Nueva.,
Dans "Mi munequita", ce qui pourrait ressortir à la farce s'érige en drame familial dont la structure est calquée sur celle de la tragédie antique, avec la fin énoncée dans le prologue délivré par le choryphée.
Dans la famille essentiellement pathogène de Calderon, il n'est jamais question d'amour, mais uniquement de névroses, de refoulement, de haine et de vindicte, ni de communication mais de ressassement égocentrés.
Sur les notes aigrelettes d'une boîte à musique qui n'annoncent rien de bon, un majodorme aux airs de boy de music-hall (Pablo Dubott) noue les fils du destin qui enchaînent le père obsédé par son besoin de paix et sa fonction défécatoire (Andrés Alegría), la mère inféodée à sa fonction domestique et victime de violence conjugale (Angélica Martinez), l'oncle incestueux par vengeance amoureuse (Carlos Briones) et la fille mal aimée devenue psychotique (Carolina Alarcón).
L'instrument sera une poupée schizophrène à la présence dérangeante, entre automate parlant qui débite des phrases enregistrées et poupée Chunky, qui n'a rien d'un objet transitionnel et exhorte au meurtre (Ignacia Goycoolea).
Pour la mise en scène, dans un décor minimaliste et des costumes en noir et blanc conçus par Víctor López, proches de l'univers graphique du réalisateur Jean-Christophe Averty, Adel Hakim trouve le bon registre de "l'entre-deux", entre fable et hyperéalisme, mêlant grotesque et grand guignol, qui évoque le syncrétisme de la troupe de clowns russes du Teatr Licedei, pour dérouler cet opus vénéneux rythmé par des intermèdes aux airs connus de la variété sud-américaine à la chanson-titre du film Cria Cuervos de Carlos Saura.
Ce registre est totalement maîtrisé par les comédiens chiliens qui délivrent une époustouflante prestation à faire froid dans le dos. |