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Claire Elzière chante Allain Leprest  (Saravah)  août 2014

Trois ans après sa mort, l’œuvre d’Allain Leprest connaît ces jours-ci un sursaut inespéré : après les nécessaires hommages, voici qu’on ouvre enfin le coffre aux trésors inédits – révélant la face cachée de cette production monumentale, jusque-là très éparpillée (dont on retrouve chaque jour de nouveaux morceaux). Nous chroniquions la semaine dernière l’album Paris-Milan de Jean Guidoni mis en musique par Romain Didier et produit par Didier Pascalis pour le label Tacet. Un autre album d’inédits était déjà paru, quelques semaines plus tôt, chez Saravah. Belle brune à voix limpide, Claire Elzière est connue pour ses interprétations de Pierre Louki – déjà deux albums à son actif sur le label de Pierre Barouh. Elle jouit d’une petite notoriété au Japon, où elle publie des disques de standards spécifiquement destinés au marché francophile. Son nouvel album, sur des textes d’Allain Leprest, contient quatorze chansons dont dix inédites, plus quatre reprises choisies – politique maison oblige – sur les albums publiés par Leprest chez Saravah dans les années 90’s. La plupart des musiques sont signées par le guitariste Dominique Cravic, leader des Primitifs du Futur. S’il n’est pas un nom très familier de l’univers Leprest – seulement une chanson cosignée ensemble du vivant de l’auteur, l’impayable Quand J’étais Mort en 2008 – Cravic a néanmoins suffisamment côtoyé le poète, à la fin de sa vie, pour détenir cette dizaine de textes et envisager de lui consacrer un album complet.

On ne change pas une équipe qui gagne : au générique de ce disque, il y a donc la plupart des musiciens ayant participé aux galettes des Primitifs – en particulier le dernier, Tribal Musette. Ce casting donne lieu à une esthétique originale, à l’éventail plus large qu’à l’accoutumée : les influences vont du jazz aux musiques du monde, en passant par le swing manouche, le gospel, voire des ambiances presque lounge, parfois. Loin de la ligne habituelle des arrangements produits pour Allain Leprest – ce qui ne trahit pas son propos, mais le diversifie.

Alors que le disque de Guidoni est intense, tout en cordes dramatiques et batteries sous tension, celui de Claire Elzière la joue sobre et décontracté, à l’image de son maître d’œuvre. Outre ses dons de compositeur et guitariste, Cravic a un talent non négligeable : celui de réunir les bons musiciens et créer une ambiance propice à les mettre en valeur. Ca n’a l’air de rien… mais on avait rarement ressenti un tel plaisir de jeu, sur les disques réalisés autour de Leprest. Jusqu’ici les parties instrumentales, même assurées par de fines lames comme Romain Didier ou Thierry Garcia, gardaient cette discrétion propre à la chanson d’auteur, où le texte est tellement mis en avant qu’il éclipse parfois les accompagnateurs, qui ne s’y expriment peut-être pas aussi librement qu’ailleurs. Cravic est moins un orchestrateur – tout le monde participe aux arrangements – qu’un metteur en scène de talents. Contrairement au disque de Guidoni, tout entier tourné vers son chanteur et son auteur, où l'orchestration vise à porter le texte et ne doit surtout pas faire dévier l’attention de celui-ci… l’album réalisé par Cravic est un disque de musicien : chaque intervenant a un espace d'expression, le feeling est "live", on sent l’air passer entre les instruments. Claire Elzière se fond dans cet univers, elle n'est pas vecteur unique mais instrument lead d’un groupe varié. La masse orchestrale déployée sur le Guidoni impressionne mais reste finalement assez anonyme. Ici, on sent mieux la patte de chaque instrumentiste.

Sur le plan des chansons, on navigue aussi dans un autre univers. Leprest a offert à Cravic et Elzière des textes qui leur correspondent – mais qui ne lui auraient pas forcément correspondu, à lui. Il ne faut donc pas chercher d’équivalent à "Bilou", "Le Temps De Finir La Bouteille" ou "C’est Peut-Être"… Comme pour la musique, les thématiques abordées sont beaucoup plus légères qu’auparavant – ce qui ne signifie pas inconsistantes… On y trouve un même travail (virtuose) sur les mots, un même plaisir à les mettre bout à bout de façon originale, pour voir comment ils sonnent dans la bouche d’un interprète, résonnent sous les doigts d’un musicien… C’est le sujet de la première chanson du disque : "Marabout Tabou", ode à l’écriture comme acte fraternel. Leprest, qui a animé des ateliers, délivre un mode d’emploi utopique ("mets des mots bout à bout […] des mots n’importe quoi  […] des mots inutiles ou chauds comme l’ardoise"), dont le but est de rassembler pour atteindre l’universel – "il faudrait bien qu’écrire soit le métier de tous". Cravic traduit cette idée de fraternité ("on cosigne en jumeaux") par un métissage rare chez Leprest : une instrumentation type Maghreb, où darbouka et mandole sont aux premières loges. La mélodie, évidente, en fait un tube en puissance. A l’autre extrémité du disque, autre musique inoubliable : "D’autres Choses Encore", inventaire de tous les petits riens qui font le sel de la vie, fondus dans le poème pour y être transfigurés. Il est encore question de métissage – Senghor et Césaire à la terrasse d’un café – mais l’arrangement piano-bandonéon reste plus classique.

Entre ces deux réussites, beaucoup de bonnes choses – et quelques-unes moins réussies aussi… mais le ratio, comme pour Guidoni, reste très positif, ce qui est plutôt inespéré pour des morceaux censés être des "fonds de tiroir". Parmi les gourmandises : "Entendez-Voir", irrésistible pochade sur le handicap portée par un ukulélé malicieux et un crincrin soulignant le grinçant de l’anecdote. "Si Ton Cœur S’arrête" mêle morbidité, humour et sensualité : le palpitant d’une Africaine  y joue "du t’aime t’aime", il est question d’une "pompe rouge qui jazze et qui bouge entre tes nibards". On ne sait plus trop ce que ça veut dire, mais on sent bien où il veut en venir… La musique, signée par un musicien historique de Leprest (Jean-Philippe Viret), bénéficie d’une belle orchestration jazzy. Le talent de la chanteuse ajoute à cette réussite : Claire Elzière est précise sur les mots tout en gardant une voix parfaitement mélodieuse ; elle swingue en douceur, tout en respectant la ligne poétique et ses courbes textuelles.

"Elle Dort Avec Son Chat" est une chanson pour grand enfant, mais pas salace pour deux sous : curieuse histoire d’amant réduit à dormir "dans la chambre du gosse" tandis qu’un malin matou partage la couche de sa belle. Le contraste entre la voix limpide de Claire aux refrains et celle, laid-back un peu coquine, de Dominique aux couplets, est réjouissant. Idem sur "A Quoi Peut Servir Moins", dont ils cosignent la musique : ça chaloupe comme un gospel tandis que le texte, absurdo-métaphysique, privilégie la collision des mots au détriment du sens. Leurs voix s’enchevêtrent et l’on ne sait plus vraiment ce qu’elles disent – hormis un "je t’aime et je le jure" très intelligible… et très éloquent. Enfin, "Ta Fermeture Eclaire", sorte de "Variations sur Marilou" (fétichisme du pantalon qu’on dé-zippe pour chercher l’objet du désir) moins hard, plus métaphorique que chez Gainsbourg. Pierre Barouh est invité à dire ce texte : malgré son âge, il donne envie de suivre ce "sentier sous ton jean", observer ce "vol d’oiseau échappé de ton ventre", et autres privautés de haut niveau (et de petite tenue).

Mais le style de compositions de Dominique Cravic a aussi le défaut de ses qualités : s’il sied parfaitement aux ambiances décontractées ou sensuelles, il s’avère moins propice aux émotions fortes. C’est sans doute pour rajouter un peu de tension "dramatique" à l’ensemble que Claire Elzière ajoute à son répertoire quatre chansons ayant déjà fait leurs preuves ailleurs : "L’Horloger", hommage à Pierre Louki, était tout indiqué, connaissant son rapport au maître. "D’Osaka à Tokyo" relève aussi d’une évidence, puisque Barouh et Saravah sont implantés là-bas. Néanmoins, la chanson a connu tellement d’incarnations sur les hommages récents, qu’il fallait une idée pour justifier celle-ci. Miracle : personne jusque-là n’avait songé à lui administrer… une partie de koto ! (Par le passé, la partie japonisante était bassement imitée à coups de synthé cheap). C’est désormais chose faite, et de belle façon. Malheureusement, "Je Ne Te Salue Pas" est moins réussi : difficile de passer après Francesca Solleville, dont l’interprétation fervente reste dans toutes les mémoires. En comparaison, la voix de Claire Elzière paraît trop sage, et manque de conviction quand elle chante "en ce qui me concerne, je balance un pavé" ! La plus réussie de ces reprises est peut-être "Mon Abat-Jour", magnifique titre issu de l’album Leprest-Galliano (1992), qui n’avait pourtant guère été repris jusqu’ici. Claire Elzière répare cet affront : après une intro faussement cacophonique où les musiciens s’accordent et instaurent un climat de grande tension – elle démarre, accompagnée d’un simple piano, avant que d’autres instruments viennent la soutenir, ensemble contre l’adversité. Sa version est plus sobre que celle de Leprest, qui s’y déchirait la voix – mais non moins inquiète. L’alliance entre chant fébrile et instruments qui entrent et sortent du champ, crée un climat instable, où la fraternité amoureuse semble avoir autant à craindre d’elle-même que des "molosses" du refrain...

Sur le plan des semi-échecs (ou demi-réussites) : "Vie d’ange Vie d’ordure" ne tient pas les promesses de son titre, et se contentant de filer la métaphore de la dualité Jeckyll / Hyde, Gainsbourg / Gainsbarre, Renaud / Renard… "Lequel Des Deux", même rehaussé d’une belle partie de clarinette, reste un texte relativement mineur. Ces deux morceaux, associés dans le tracklisting à la reprise trop tendre de "Je Ne Te Salue Pas", constituent un petit "ventre mou" après les deux premiers morceaux très prometteurs. Mais ça ne dure pas : le reste du répertoire remonte d’un cran et la qualité tutoie souvent les sommets.

Au final, le disque est une réussite qui renouvelle de belle façon l’univers d’Allain Leprest. Cela faisait un moment que la signature du poète de Mont-Saint-Aignan n’avait pas gratifié une interprète d’un répertoire complet. Après l’album historique Al Dente pour Francesca Solleville, c’est désormais chose faite. Le rendu est bien sûr très différent du disque pour Francesca : il y a ici une rondeur et une sensualité qui n’étaient pas le propos d’Al Dente – sans compter cet amour des belles ambiances entre musiciens, qui caractérise l’approche de Cravic, sans doute plus importante pour lui que les vitupérations politiques ou les chansons sociales. Ce n’est pas du Leprest pur jus, et ça ne prétend pas avoir la même esthétique que le disque de Jean Guidoni. Face à une telle adversité, il installe son propre style, plus cool et reposant – mais pas moins émouvant.

[Note : on pourra lire, pour se faire une idée de la conception de cet album, un grand entretien avec Dominique Cravic dans l’ouvrage à paraître mi-novembre : Allain Leprest / Gens que j’aime, aux éditions Jacques Flament]

 

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En savoir plus :
Le site officiel de Claire Elzière
Le Myspace de Claire Elzière
Le Facebook de Claire Elzière


Nicolas Brulebois         
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# 21 avril 2024 : Des beaux disques, des beaux spectacles, une belle semaine

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Du côté de la musique :

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"Out" de Fishtalk
"Take a look at the sea" de Fontanarosa
"Venus rising" de Trio SR9 & Kyrie Kristmanson
"Perpétuel" de Vesperine
"Liminal status" de Watertank
"The great calm" de Whispering Sons
"Keep it simple" de Yann Jankielewicz , Josh Dion & Jason Lindner
Quelques nouveautés en clips avec Isolation, Resto Basket, Greyborn, Bad Juice, Last Temptation, One Rusty Band, We Hate You Please Die
nouvel épisode du Morceau Caché, consacré à Portishead
et toujours :
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"Let the monster fall" de Thomas de Pourquery
"Etat sauvage" de Chaton Laveur
"Embers of protest" de Burning Heads
"Sin miedo" de Chu Chi Cha
"Louis Beydts : Mélodies & songs" de Cyrille Dubois & Tristan Raës
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"Alas" de Patrick Langot, Alexis Cardenas, Orchestre de Lutetia & Alejandro Sandler
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"Tigers blood" de Waxahatchee
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"Frida" au Théâtre de la Manufacture des Abbesses

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"Après les ruines" au théâtre La Comète de Chalons En Champagne
"Objets inanimés, avez-vous donc une âme ?" au Théâtre du Guichet Montparnasse
"Royan, la professeure de français" au Théâtre de Paris
Notes de départs" au Théâtre Poche Montparnasse
"Les chatouilles" au Théâtre de l'Atelier
"Tant que nos coeurs flamboient" au Théâtre Essaïon
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"Lîle des esclaves" au Théâtre Le Lucernaire
"La forme des choses" au Théâtre La Flèche
"Partie" au Théâtre Silvia Monfort
"Punk.e.s" Au Théâtre La Scala
"Hedwig and the angry inch" au théâtre La Scala
"Je voudrais pas crever avant d'avoir connu" au Théâtre Essaïon
"Les crabes" au Théâtre La Scala
"Gosse de riche" au Théâtre Athénée Louis Jouvet
"L'abolition des privilèges" au Théâtre 13
"Lisbeth's" au Théâtre de la Manufacture des Abbesses
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"Le chef d'oeuvre inconnu" au Théâtre Essaion
"Darius" au Théâtre Le Lucernaire
"Rimbaud cavalcades" au Théâtre Essaion
"La peur" au Théâtre La Scala

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"L'île" de Damien Manivel
"Le naméssime" de Xavier Bélony Mussel
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Lecture avec :

"Hervé le Corre, mélancolie révolutionnaire" de Yvan Robin
"Dans le battant des lames"' de Vincent Constantin
"L'heure du retour" de Christopher M. Wood
"Prendre son souffle" de Geneviève Jannelle
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"L'origine des larmes" de Jean-Paul Dubois
"Mort d'un libraire" de Alice Slater
"Mykonos" de Olga Duhamel-Noyer
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