Comédie dramatique de Frank Wedekind, mise en scène de Frédéric Jessua, avec Léonard Bourgeois-Tacquet, Mathieu Dessertine, Jean-Claude Bonnifait, Frédéric Jessua, Lou Joubert, Moïra Dalant (ou Julia Lacoste) et Elsa Grzeszcak - Müller.
Avec sa Compagnie La Boîte à Outils, Frédéric Jessua, comédien, musicien et metteur en scène, a entrepris de monter en diptyque deux pièces courtes du dramaturge allemand Frank Wedekind.
Situées dans le monde artistique, et plus précisément lyrique, "Le Chanteur d'Opéra" et "Musique", elles constituent, davantage que des partitions dramaturgiques, des satires socio-politiques sans concession sur ses thématiques récurrentes que sont l'art, l'amour et la bourgeoisie dont n'est pas écartée une certaine pesanteur didactique nonobstant leur résonance contemporaine.
Dans le premier opus, défini par son auteur comme "le choc entre une intelligence brutale et différentes passions aveugles", écrit sans véritable intrigue à la manière de Molière dans "Les fâcheux", dans sa chambre d'hôtel, un client (Matthieu Dessertine) boucle ses valises tout en lambinant face au personnel aux petits soins de l'établissement (Léonard Bourgeois-Tacquet et Frédéric Jessua) car il ne s'agit pas d'un client ordinaire mais d'un célèbre ténor wagnérien.
Celui-ci, trentenaire au séduisant physique de jeune premier, voit son départ interrompu par la visite intempestive de "quémandeurs" indésirables : une jeune fille qui veut s'immoler sur l'autel de son idole (Lou Joubert tendre groupie), un compositeur anonyme qui lui demande d'intervenir pour faire reconnaître son génie méconnu (Jean-Claude Bonnifait pathétique à souhait) et une femme mariée de la haute bourgeoisie, sa maîtresse éplorée et hystérique (Elsa Grzeszczak) qui a tout abandonné pour le suivre.
Et iI ne se contente pas de les éconduire poliment, voire hypocritement en atermoyant, car tel le phare de la vérité éclairant le monde, il leur assène sans ménagement, et avec un cynisme consommé, des vérités cinglantes qui constituent autant de violentes diatribes par lesquelles Frank Wedekind exprime la perversion du système marchand bourgeois qui inféode même le domaine artistique.
Au passage, il vilipende la précarité du statut d'artiste, les vicissitudes de l'auteur qui doit savoir avant tout "se vendre" auprès des autorités décisionnaires, le manque de discernement du public - critiques atemporelles qui n'ont rien perdu de leur acuité - et la pseudo-culture affichée par une bourgeoisie grossière et ignare tout en taclant l'amour comme "vertu" bourgeoise.
Dans ce work in progress, Frédéric Jessua assure une belle direction d'acteur et le choix de Matthieu Dessertine, jeune comédien issu du CNSAD dont le physique, le timbre de voix et le jeu correspond à l'emploi, est judicieux : il incarne parfaitement baudruche auréolée du fantasme du héros wagnérien que Frank Wedekind a doté d'une "âme de philistin gonflée par le succès". |