Le Petit Palais ouvre son début de saison en accueillant une excellente exposition haute en couleurs à plusieurs titres, "Les Bas-fonds du Baroque. - La Rome du vice et de la misère", qui propose une immersion atypique dans la peinture du Seicento.
Avec ce titre explicite, vient immédiatement à l'esprit l'idée qu'elle concerne le goût, supposé et/ou avéré des commanditaires, mécènes et collectionneurs du 17ème siècle, aristocrates, riches négociants et hauts dignitaires du clergé dont la Papauté, pour le stupre et les milieux interlopes.
En d'autres termes, des oeuvres dites "licencieuses" destinées aux cabinets particuliers de ceux qui s'encanaillaient hors de leur sphère sociale.
Mais l'exposition, inaugurée en 2014 à la Villa Médicis à Rome, conçue par Francesca Cappelletti, professeur d'Histoire de l'art à l’Université de Ferrare, et Annick Lemoine, maître de conférences à l'université de Rennes et chargée de mission pour l'Histoire de l'art à la Villa Médicis, recèle un pertinent propos scientifique en ce qu'elle aborde une production picturale d'une communauté d'artistes qui s'est développée en marge - et en opposition - de la peinture officielle.
L'exposition se déroule selon un parcours thématique dont la scénographie a été confiée à Pier Luigi Pizzi, metteur en scène, scénographe et créateur de costumes, qui signe une scénographie spectaculaire.
Ainsi, le visiteur est accueilli par une galerie de palais imaginaire, un immense vestibule dont les murs sont recouverts, façon pêle-mêle, de vues de Rome de l'époque, à partir de reproductions monumentales de gravures de Giovanni Battista Falda.
Scandée par des modèles en plâtre de statues de l'Antiquité grecque dont le "Faune Barberini", qui ornaient les riches demeures, elle pose l'univers du goût de l'époque dans la fastueuse capitale culturelle européenne.
Les Bas-fonds du Baroque : la Rome des Bentvueghels
En opposition à l'art officiel dont les fondamentaux sont la grande peinture d'histoire et de la peinture de dévotion, le goût de l'antique, le concept du beau idéal et la célébration de la vertu, qui imposent de traiter des sujets nobles et des héros magnifiés exaltant la splendeur de la ville papale, se développe une production picturale audacieuse et subversive émanant d'une communauté de jeunes artistes européens à la vie "dissolue" qui séjournaient à Rome surnommés les "Bentvueghels".
Celle-ci forme une confrérie placée sous le signe sexuel de la figue et le culte païen de Bacchus, dieu du vin et de l’inspiration artistique en provocation ouverte avec la Rome Papale, adepte des rites bacchiques qui constituent un de leurs thèmes de prédilection.
Elle regroupe des peintres caravagesques, dont Valentin de Boulogne, Nicolas Tournier, Simon Vouet, Bartolomeo Manfredi, Nicolas Régnier, Dirck van Baburen et Jusepe de Ribera, des bambocheurs, tels Sébastien Bourdon, Jan Miel et Pieter Van Laer, et des paysagistes italianisants comme Claude Gelée dit Le Lorrain, Cornelis Van Poelenburgh, Sébastien Bourdon et Jan Borth.
Loin de n'être que d'irrévérencieux potaches, ils sont fédérés autour d'un véritable programme d'avant-garde qui, outre de prendre le contre-pied de la peinture officielle, ambitionne de créer une nouvelle iconographie.
Leur programme se coordonne autour de la pratique d'une peinture d'après nature, avec un naturalisme qui n'exclut cependant pas un symbolisme implicite, afin de montrer "l'envers du décor", la Rome grossière et commune, le monde des gueux et et des bas-fonds, de la misère, de la violence et du vice qu'elle engendre, et l'invention d'une nouvelle scène de genre avec la taverne comme lieu emblématique et interlope de la fête et des plaisirs rustres, celui de la bamboche, thématique qui va essaimer dans tous les arts.
Et ils ne se contentent pas de cette mutinerie contre la peinture d'histoire en se consacrant aux scènes de la vie ordinaire, investissant tous les genres picturaux.
Ainsi, le paysage en y insérant une scène triviale qui nécessite un regard attentif pour être révélée.
Pour le portrait, ils substituent à la figure noble celle du commun, avec les mendiants, ivrognes, prostituées, voleurs ou diseuses de bonne aventure qui supplantent les personnages mythologiques, les saints et les papes.
Une des deux dernières salles, qui bénéficient d'un éblouissant décor de palais avec jeux de miroirs, est consacrée à ce que les commissaires qualifient de "portraits des marges".
Et si les personnages sont dépeints de manière vériste, ils sont parfois investis d'un contenu allégorique voire métaphysique.
Tout comme les tableaux réunis dans l'ultime salle que les commissaires ont placé sous l'égide de "la taverne mélancolique" comme lieu de méditation sur les plaisirs, qui illustre la spécificité du Baroque qu'est le double regard, et dont certains reflètent explicitement le trouble de l'âme quand, au bout de la nuit qui idissipe l'étourdissement des sens, la fête est finie.
Ce périple didactique en 70 tableaux judicieusement sélectionnés, un choix qui porte tant sur des peintres au nom illustre que des peintres moins connus du grand public, est d'autant plus passionnant qu'il est exigeant car il demande au visiteur d'exercer son regard à la sagacité quant au sens caché des oeuvres.
D'autant qu'une autre de leurs caractéristiques tient à la mise en abime à laquelle procèdent les peintres en se représentant, de manière explicite ou par voie d'indices, sur la toile comme acteur de la scène.
Alors soyez perspicace... avec, pour les néophytes, l'aide du précieux audio-guide.
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