Comédie dramatique de Lee Blessing, mis en scène de Joël Coté, avec Christiane Devaux, Hélène Gounot, Adèle Nicolas, Emaé Berlet, Eliane Bernard, Amélie Amilhau, Flavie Alaux et Iliana Boubekeur.
Si "Independence" de Lee Blessing est une pièce souvent jouée depuis sa création en 1984, c'est sans doute parce qu'en dessinant le portrait d'une mère et de ses trois filles, elle saisit mieux qu'une autre une certaine vérité de l'Amérique profonde.
C'est en effet au cœur de l'Iowa que se retrouve pour la première fois depuis quatre ans un quatuor féminin bien singulier. L'aînée des trois filles, celle qui revient, est une universitaire homosexuelle.
Elle répond à l'appel de sa cadette qui prétend que leur mère "a voulu la tuer" parce qu'elle est enceinte, elle, la presque déjà vieille fille soumise jusqu'à maintenant à cette mère tyrannique au passé psychiatrique. Pour compléter le tableau, il y a la troisième sœur, plus délurée, enceinte à quinze ans d'un enfant qu'elle a abandonné à sa naissance.
Le paradoxe de cette pièce faussement très américaine est d'aligner les stéréotypes dans un contexte au contraire très peu statistique, celui d'un monde sans hommes, d'un monde où l'homme n'a jamais été présent, ni pour la mère ni pour les filles. Ainsi, par la grâce d'un jeu de mot qui fonctionne en anglais comme en français, à Independence, les femmes sont "indépendantes".
Mais elles le paient au prix fort : celui d'une espèce de dépendance qui les lie entre elles. Si la situation change, par exemple, si la mère est réellement devenue ou, plutôt, redevenue folle, que va-t-il se passer ? Mettant leurs cœurs à nu, multipliant les rancoeurs, divulguant des non-dits, précisant des faits, les quatre membres de cette famille féminine exposent des vérités qui s'enchevêtrent et créent un climat fortement tendu.
Lee Blessing a réussi son coup : le spectateur, même le moins réceptif à ce théâtre calibré pour que les acteurs se glissent aisément dans leurs personnages schématiques, sera captivé et impatient de connaître comment les choses vont tourner.
Au milieu des années 1990, "Independence" avait été mise en scène par Béatrice Agenin, qui jouait aussi l'une des sœurs, avec Dominique Blanchar dans le rôle de la mère. Curieusement, la version d'alors, avec des moyens importants, paraissait céder au "côté très américain" du sujet et ne permettait pas de s'établir ou de se rétablir d'elle-même la vérité des choses.
Dans sa mise en scène, Joël Coté hume les êtres, leur laisse la chance et le temps de convaincre les spectateurs. Si, sans leur faire injure, les comédiennes sur le plateau n'ont pas la science du théâtre qu'avait Dominique Blanchar, elles ont une sincérité sans rouerie qui convient à une œuvre plus puissante qu'il n'y paraît. Une œuvre qui ne nécessite pas de pathos ni d'effets de manche.
En retrouvant la légèreté de l'anecdote, Joël Coté, servie par de belles figures d'actrices, respecte peut-être davantage le contexte de la pièce de Lee Blessing. Ni comédie, ni drame, elle constitue une plongée à l'instant "T dans la communauté américaine de base, la famille.
Évidemment, une famille bien spéciale et parfaite pour que l'on puisse vivre en direct, une belle tranche de 90 minutes de théâtre à l'anglo-saxonne, c'est-à-dire sans ennui et avec de l'analyse psychologique à tous les étages.
Il faut donc se rendre au plus vite à "Independence" voir une pièce éponyme qui, en trente ans, est devenue un vrai classique. |