Pour le printemps 2015, le Grand Palais fait un grand écart stylistique en présentant conjointement "la" rétrospective exceptionnelle consacrée à Velasquez le maître de l'art baroque espagnol et celle consacrée au couturier Jean Paul Gaultier.
En effet, il accueille une exposition initiée en 2011 par le Musée des beaux arts de Montréal dont Paris constitue la dixième étape d'un exceptionnel "World Tour".
Elle a été conçue par Nathalie Bondil, directrice du Musée des beaux-arts de Montréal, comme une exploration de "la planète Gaultier". Elaborée sous le commissariat de Thierry-Maxime Loriot, assistant de recherche au musée précité, et en collaboration avec le couturier, elle se présente donc comme une création multimédia qui bénéficie d'une scénographie originale et, surtout, spectaculaire réalisée par l'Agence Projectiles qui l'érige en une époustouflante exibition "son et lumières" avec des
inédits parisiens telle l'installation "morphing" réalisée par le designer néerlandais Jurgen Bey formé à la prestigieuse Design Academy Eindhoven.
Par ailleurs, se voulant plus immersive que didactique, elle se déroule selon un parcours thématique en huit sections qui s'avère particulièrement adéquat pour appréhender quatre décennies de création échevelée et cependant
traversée de récurrences.
Enfin, dans cet étourdissant show muséal à l'américaine, les officiants sont les créations vestimentaires portées par des mannequins
qui ne sont pas les ordinaires mannequins d'étalage, clones figés d'une figure déshumanisée.
S'affranchissant de la standardisation et de la rigidité, des créations "humanisées", les mannequins ont été spécialement conçus par le fabricant Jolicoeur International et certains sont dotés des perruques élaborées par la star de l'architecture capillaire Odile Gilbert, et d'un visage animé, parlant et chantant par un procédé de projection vidéo piloté par UBU, la compagnie de création théâtrale québécoise fondée par Denis Marleau et Stéphanie Jasmin.
Jean-Paul Gaultier
- "De la rue aux étoiles"
Les documents d'archives relatifs à son enfance, dont le fameux ours en peluche prénommé "Nana" qu'une chirurgie esthétique artisanale a pourvu de seins, déjà en obus, et le portrait de sa grand-mère qui tenait un salon de beauté, montrent que l'aventure de Jean-Paul Gaultier, devenu "l'enfant chéri de la mode", a commencé
comme celle d'un "Tintin au pays des frous-frous", selon l'expression de Elizabeth Gouslan.
Dans la biographie qu'elle lui a consacré et publiée en 2010 ("Jean-Paul Gaultier - Punk sentimental"), elle analyse également avec sagacité sa longévité créatrice comme celle d'un couturier moins avant-gardiste que pratiquant le "copier-coller-sauvegarder l'air du temps" en s'inspirant de la mode de la rue, devenue vocation du "styliste tendance", revisité à l'aune de l'insolence et de l'humour.
Ce qui n'exclut pas la virtuosité technique que le visiteur pourrà, s'il échappe à l'emprise des sunlights, apprécier de visu et à proximité.
En effet,
à l'exception de la section "A fleur de peau - Classé X" consacrée aux modèles déclinant des codes esthétiques marginaux du sexe et du fétichisme, les tenues ne sont pas présentées sous vitrine ce qui permet de prendre la mesure de la technicité et de la virtuosité.
Son itinéraire, qui va "de la rue aux étoiles", titre de la photographie-peinture réalisée par Pierre et Gilles, spécialistes du portrait sulpicien-kitsch, qui
a été retenue pour l'affiche de l'exposition, est placé sous les auspices non pas d'une muse mais de muses multiples, qui constituent son panthéon personnel.
Un panthéon éclectique qui va de sa Mémé Garrabé, la tutélaire dont les dessous ont généré le corset aux bonnets coniques, à Lady Gaga en passant par Madonna, inspiratrice de la collection "Les Vierges" qui correspond également avec le goût du couturier pour l'imagerie religieuse
qui ressortit aux fondamentaux du vocabulaire gaultierien essentiellement syncrétique.
Celui-ci intègre l'iconographie gay avec les figures antinomiques du mauvais garçon, le marin tatoué à la Genet, dont il investit la marinière qui devient emblématique, et son emblème, alors même qu'elle a été liée à la mode depuis les années folles que révélait l'exposition "Les marins font la mode" qui s'est tenue en 2009 au Musée National de la Marine, et de la femme fatale, icône du glamour.
Ainsi qu'une navigation paradoxale entre l'androgynie et l'hypersexuation, le mélange des genres (le perfecto du rebelle à la Brando porté sur un jupon), l'inversion des codes du genre (la jupe pour homme, le tatouage pour la femme).
Ce syncrétisme s'illustre également pare sa pratique d'une "couture fusion" qui conduit à une esthétique du métissage inspirées des customisations auxquelles procèdent la "jungle urbaine".
Jean Paul Gaultier a fait des incursions dans le monde du spectacle, du cinéma et de la danse par la création de costumes que retrace la section intitulée "Metropolis".
Comme nombre de ses homologues mais sans aucun doute de manière plus assidue, tel son long compagnonnage avec la chorégraphe Régine Chopinot, sujet de l'exposition "Jean Paul Gaultier *Régibe Chopinot, Le Défilé"
qui s'est tenue en 2007 au Musée des Arts Décoratifs.
Un des points d'orgue de l'exposition est constituée par la section "Punk Cancan" qui reconstitue une mise en situation d'un défilé ordonné autour de la collection Automne-Hiver 2011 intitulée "Les Parisiennes".
Annoncés par Catherine Deneuve, les modèles défilent sur un podium mécanique entre deux rangées d'un public intégralement siglé Gaultier qui se présente comme une confrontation radicale entre le "Beautiful people" du star-system, de Nana Mouskouri à Conchita Wurst, et l'underground punk-rock londonien sur fond de street art.
L'exposition remplit son cahier des charges tenant à "une narration enchantée, contemporaine et vivante" qui ravira le visiteur intéressé par la mode et l'histoire de la mode contemporaine dans laquelle le chapitre Jean Paul Gaultier n'est pas encore clos.
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