"Nous sommes pareils à ces crapauds qui..." : spectacle conçu par Ali Thabet et Hèdi Thabet, interprété par Mathurin Bolze, Laida Aldaz Arrieta et Hèdi Thabet accompagnés par les musiciens Stefanos Filos, Ioannis Niarchos, Nidhal Yahyaoui et Sofyann Ben Youssef.
"Ali" : spectacle conçu et interprété par Mathurin Bolze et Hèdi Thabet Ali accompagnés par les musiciens Stefanos Filos et Ioannis Niarchos.
"Nous sommes pareils à ces crapauds qui dans l’austère nuit des marais s’appellent et ne se voient pas ployant à leur cri d’amour toute la fatalité de l’univers". Si ce texte de René Char met d'emblée le spectacle des frères Ali et Hédi Thabet et de leur complice Mathurin Bolze sous le signe de la poésie, il ne traduit pas toute sa légèreté, toute son élégance aérienne.
Formés au Centre national des arts du cirque, l'école de Châlons, le trio a en gardé la marque de fabrique, celle que l'on retrouve tous les ans quand le spectacle de fin d'années de l'école est monté sous le chapiteau de La Villette. Ici, on n'est plus totalement dans le cirque, mais dans sa fusion avec des arts voisins comme la danse et sa cohabitation avec une musique elle-même en plein vagabondage.
Dans "Nous sommes pareils à ces crapauds" et de manière plus elliptique dans "Ali", les danseurs-équilibristes qui tournent sur la scène sont accompagnés d'un groupe musical associant musiciens arabes et grecs pour une synthèse entre rebétiko et musique arabo-andalouse.
Le mélange scénique entre chorégraphie et équilibre prend un sens aigu, qu'on le veuille ou non, à cause de l'infirmité d'Ali, unijambiste. Ce qui pose d'ordinaire problème dans les spectacles appliqués de l'école du cirque de Châlons, c'est une certaine cérébralité, une volonté de "combattre" le cirque traditionnel par tous les moyens intellectuels. Cela donne des spectacles froids et cérébraux.
La présence d'Ali Thabet, qui se joue de sa différence avec une virtuosité qui impose l'admiration, élimine cette froideur intellectualiste. Il faudrait être d'une insensibilité reptilienne pour ne pas être parcouru d'un frisson d'émotion quand les béquilles d'Ali se mêlent à la ronde des mariés.
Pareillement, dans la deuxième partie du spectacle, cette inénarrable bataille de béquilles, à la fois burlesque et chorégraphique, qui finit en "trépied" est à proprement parler époustouflante.
Encouragés par la musique dirigée par Sofyann ben Youssef, les équilibristes atteignent les sommets du poétique pour donner à voir une œuvre d'une simplicité et d'une pureté rares.
Et, même si parfois revient en tête le handicap d'Ali Thabet, il n'y a ici aucun chantage compassionnel. Toujours d'une grande justesse, ne cherchant jamais la prouesse gratuite, Ali Thabet et Mathurin Bolze, accompagnés dans les "Crapauds" par Laida Aldaz Arrieta, sont au sommet de l'art qu'ils inventent.
Un moment impressionnant qui demeurera indélébile dans les cœurs de ceux qui auront eu la chance de le voir. |