Monodrame de Salvatore Sciarrino, mise en scène de Jacques Osinski et direction musicale de Maxime Pascal, avec Johan Leysen, Sydney Fierro, Florent Baffi et Pablo Ramos Monroy.
Jacques Osinsky, virtuose de la mise en scène des univers introspectifs et de la dilatation du temps, a trouvé un opus à sa mesure avec "Lohengrin", non l'opéra de Wagner qui exalte la légende arturienne, mais le monodrame éponyme conçu par le compositeur sicilien Salvatore Sciarrino qui la dynamite.
L'argument de cette oeuvre sous-titrée "action invisible pour soliste, instruments et voix" et constituée d'une agrégation ininterrompue de structures sonores microscopiques constituées de timbres et souffles et de bruits de bouche dispensés par l'officiant, est une des "Moralités légendaires" du poète et écrivain Jules Laforgue qui parodie, à l'aune d'un symbolisme décadent, le mythe du Chevalier errant, Parsifal,, le fils de Lancelot, et d'Elsa, la vestale "belle comme un regard incarné".
Simple et claire, une immense toile blanche en fond de scène et quelques éléments de décor, du sable, de la terre et un vaste récipient empli d'eau, la scénographie, qui relève de l'évidence, encore fallait-il y penser, créée un lieu indéfini, un no man'sland, qui esquisse le paysage mental de la forme lumineuse et phosphorescente telle une image spectrale de la photographie spirite du début du 20ème siècle.
Ectoplasme, fantôme ou spectre, elle se répand en borborygmes, sifflements éructations, soufflés et sons gutturaux avant d'apparaître devant la toile, traversée du miroir qui va l'animer pour évoquer sa tragédie, celle d'un amour unilatéral.
De blanc vêtue, d'un costume polysémique de Hélène Kritikos qui évoque tant une vierge boticellienne qu'une mariée défraîchie alors que sa carrure et sa démarche correspondent davantage à celles d'un vieux travesti et par sa schizophrénie vocale, rapportant de manière inquiétante et démoniaque des bribes de dialogues entre elle et son amant et alternant avec un monologue intérieur délirant, une goule effrayante.
Songe, hallucination, récurrences mnésiques ou affabulation, même l'inattendu dénouement ne livrera pas de réponse.
Dans la mise en scène inspirée de Jacques Osinski, tout concourt à créer une atmosphère d'inquiétante étrangeté : la partition musicale abyssale avec le souffle du flux et du reflux des vagues et les sifflements le monde du silence, la voix amplifiée et les musiciens de l'Ensemble Le Balcon dirigé par Maxime Pascal invisibles dans la fosse, le subtil travail de lumières de Catherine Verheyden combiné à la vidéo de Yann Chapotel et la projection sonore de Florent Derex qui ne sont pas superfétatoires pour céder à la vogue ambiante de la pluridisciplinarité formelle.
Et puis, cheveu de neige, ride profonde et présence hypnotique, le comédien belge Johan Leysen
délivre une performance époustouflante et exceptionnelle qui porte à son acmé ce spectacle abouti et maîtrisé ovationné par le public. |