Week-end caniculaire en Normandie, comme partout ailleurs. L'année dernière, Beauregard avait connu des conditions plus clémentes, c'est-à-dire moins d'énormes averses, que les autres gros festivals qui ont lieu lors du premier week-end de juillet. Cette année, ce sera la même punition pour tout le monde.
Arrivée tardive en Normandie par un train bondé, sans climatisation, et dont les toilettes débordaient dans certains wagons. On se dit que ça nous prépare pour l'ambiance de festival par grosse chaleur, les hectolitres de bière avalés et les sanisettes qui débordent en fin de soirée... En même temps, on sait que le site de Beauregard est vert, un peu ombragé, que l'organisation est attentive aux détails d'intendance, et que les conditions seront donc certainement meilleures que sur d'autres sites. En tout état de cause, il y a de fortes chances que la soirée, même coincé entre une baraque à frites et les lieux d'aisance, soit moins hardcore qu'un voyage avec la SNCF.
En fait, ce qui nous effraie le plus pour cette édition ne tient pas au temps, mais à la programmation. Le festival de Beauregard est désormais adossé au tourneur Alias. Le mouvement engagé en 2014 qui vise à élargir le public se poursuit cette année. On connaît les problèmes financiers que traversent actuellement les festivals qui doivent faire face à la baisse des subventions municipales ou régionales, et choisissent donc des artistes plus populaires pour un public moins exigeant, afin de ratisser plus large dans une certaine forme de fuite en avant qui permet d'atteindre l'équilibre financier grâce à la vente de milliers de pintes à 6 euros.
Lorsque DSK disait "plus on élargit, moins c'est étroit", il n'est pas sûr qu'il parlait de la programmation d'un festival. Mais lorsqu'il ajoutait "si c'est trop large, j'ai moins de plaisir et j'ai moins envie de venir", j'aurais tendance à le rejoindre. Entendons-nous bien, le rejoindre sur sa déclaration, pas dans une suite du Carlton de Lille.
On aurait vraiment souhaité voir Gomina, le combo psychedélique caennais inspiré par Tame Impala, découvrir le blues d'Electric Octopus Orchestra, vérifier que Baxter Dury donnait un spectacle plus professionnel que sur la scène de l'Olympia quelques semaines auparavant. Et surtout se prendre en live et en pleine face les décibels de Bo Ningen.
Pas de chance, on arrive sur le site pour entendre au loin "Le Silence des Oiseaux" de Dominique A, cinquième artiste de la soirée, suivi du dernier morceau du set, "L'Horizon". Notre soirée sera donc malheureusement réduite d'un certain nombre de possibles bonnes surprises et enthousiasmes.
Par contre, on est dans les premiers rangs pour Cypress Hill. Ce qui saisit en premier est la qualité du son. Beau travail des techniciens de Beauregard. Les rappeurs latinos font bien le boulot pour un public étrangement jeune dont la plupart devaient porter des couches-culottes lorsque les californiens connaissaient leur premier succès avec "How I Just Could Kill A Man" aux débuts des années 90. "Insane In The Brain" est aussi très bien reçu par un public joyeusement sautillant. On regrettera quand même l'utilisation des grosses ficelles du style faire crier le public de droite puis de gauche. Quant à insérer une battle percus vs. scratchs dans un set d'une heure de rap, ça ne sent pas le stakhanovisme.
Sur la scène d'en face, Christine & The Queens est attendu par du très jeune public venu avec les parents. Sur les premiers rangs essentiellement des gamines de 12 à 16 ans. Christine & The Queens est clairement le genre de groupe destiné à rameuter un public qui n'aime pas forcément la musique. En se retrouvant album de 2014 pour les Inrocks, Christine & The Queens n'a pas gagné en crédibilité, mais a plutôt sonné le glas du sérieux de l'ex-magazine musical de référence en France. Néanmoins, c'est pro, c'est propre, ça a une meilleure gueule qu'il y a deux ans au festival FnacLive avec des basses bien présentes et des jeux de lumière travaillés. Le gros oubli de ce "projet", tel que le nomme la chanteuse, ce sont les chansons. Il y a des danseurs, trois musiciens, de la lumière, de la mise en scène... mais on ne vibre à aucun moment. La variété frigide de Christine & The Queens a beau recueillir les faveurs du public, son set n'a rien ni de percutant ni d'émouvant.
Vus à Beauregard, il y a deux ans, Alt-J ne nous avait pas non plus laissé un grand souvenir sur scène. Capables d'albums malins à la production extrêmement poussée, on attend de voir si leur prestation ressemblera cette fois encore à une pâle ressucée du disque par des dadais sans charisme. Résultat des courses, oui. Comme deux ans auparavant, on s'ennuie poliment. Pourtant, Gus Unger-Hamilton, le moustachu claviériste, fait des efforts pour s'adresser au public en français. Mais il ne se passe rien sur scène, et bien que le fond de plateau soit couvert de projecteurs destinés à laisser le groupe en contre-jour tandis que le public est éclairé, qu'on assiste à une débauche de lights, décidément, ça bande mou. Groupe tête d'affiche, il était prévu que les londoniens tiennent la scène de 23h25 à 0h50. Or à 0h40, fin des hostilités. Certes, ça m'a paru horriblement long, pourtant ils ont joué à peine plus d'une heure dix, même pas capables d'assurer le temps prévu pour éviter l'attente entre les deux plateaux. Franchement, Alt-J ne méritait pas sa place en tête d'affiche.
La première bonne surprise viendra avec le groupe londonien Jungle. Sur scène, en front, deux claviers / chants, un chanteur et une chanteuse. En fond de plateau, un percu, un batteur et un guitariste qui échange parfois son instrument pour une basse. Sans révolutionner le genre, Jungle propose une pop soul sous influence 70's et trip hop. Une touche de Thievery Corporation par ci, un zeste de Gus Gus par là pour les harmonies vocales. C'est entraînant, chaud, euphorisant et le plaisir des musiciens est palpable, à des kilomètres des prestations de Christine & The Queens ou d'Alt-J. Le public met deux ou trois chansons à se chauffer. D'abord statiques devant la découverte, les premiers rangs ne tardent pas à onduler, à lever les bras, voire à reprendre quelques mots saisis dans les refrains. Jungle, à surveiller de près.
Pour clôturer la soirée, Étienne de Crécy accompagné d'Alex Gopher et de Julien Delfaud prennent tranquillement les platines. Super Discount sait faire danser. La production est bien calibrée, le visuel un peu cheap mais à l'image du nom, un gros "Super Discount" éclairé au néon. L'ambiance prend, la soirée se termine tranquillement alors que le site s'est déjà considérablement vidé depuis la fin de Alt-J.
Résolution pour demain, arriver tôt car c'est là que les bonnes surprises peuvent avoir lieu. |