Réalisé par Andrei Kontchalovski. Russie. Drame. 1h41 (Sortie le 15 juillet 2015). Avec Aleksey Tryapitsyn, Irina Ermolova, Timur Bondarenko, Viktor Kolobkov, Viktor Berezin, Tatyana Silich, Irina Silich et Yuriy Panfilo.
En activité depuis plus de cinquante ans, ayant tissé sa toile de Moscou à Los Angeles, fourni des oeuvres officielles et des films plus retors, Andreï Konchalovski, par ailleurs scénariste du chef d'oeuvre d'Andreï Tarkovski, "Andreï Roublev", n'en a pas fini avec le cinéma.
Son dernier film "Les Nuits blanches du facteur" le prouve dans chacun de ses plans.
À l'heure où il ne fait pas bon dire du bien de la Russie, Andreï Konchalovski rappelle combien ce pays immense est une mosaïque de solitudes, dans laquelle chacun survit en demeurant solidaire des autres solitaires. Pour le prouver, il a installé sa caméra autour du lac Kenozero, où les habitants forment une communauté éparpillée, reliée par la tournée en bateau de son facteur.
Si l'on a le droit aux invariants russes, comme la propension générale pour la dive bouteille, comme la description d'un quotidien plus morne que mouvementé, "Les Nuits blanches du facteur" d'Andréï Konchalovski ne s'en tient pas au constat et aux poncifs.
Il rejoint les meilleurs films soviétiques de son réalisateur, du "Premier maître" (1965) au "Bonheur d'Assia" (1967) et à "Rabia Ma poule" (1994), œuvres où il décrivait des communautés ou des êtres vivant difficilement, certes, mais avec une énergie et une rage qu'on n'aurait pas trouvé ailleurs.
Il y a une âme, une foi en la vie, une absence d'aigreur qui forcent l'admiration du réalisateur.
Chez ce facteur voué à un quotidien répétitif, mais dans une nature à nulle autre pareille, il n'y a aucune résignation. Il pourra même faire l'expérience de l'altérité et de l'ailleurs, pour montrer que sa curiosité n'est pas morte. Cela ne l'empêchera pas de reprendre le chemin du fleuve au service d'un monde sans doute en voie de disparition, bien qu'il s'accroche, qu'il ait toujours une énergie tout autre que celle du désespoir.
Acteur non professionnel, comme la plupart des personnages des "Nuits blanches du facteur" à l'exception de celui d'Irina, Aleskey Tryapitsyne est réellement facteur. Cependant, jamais on a l'impression d'être dans un documentaire sur sa tournée. Konchalovski l'a transformé en "authentique" acteur et il s'avère, avec sa face burinée et silencieuse, un sacré comédien, rendant crédible sa vie fictionnée.
Filmé dans la province d'Arkhangelsk, "Les Nuits blanches du facteur" est un film qui frappe par la beauté "simple" de ses paysages, une beauté rude qui ne s'apprécie que peu à peu et dans laquelle semble s'être immergé complètement Konchalovski.
Par la modestie de son propos, son absence de théorie sur la Russie d'aujourd'hui qui pour certains vaut soumission à Poutine, la réussite des "Nuits blanches du facteur" d'Andreï Konchalovski devrait échapper à beaucoup, même s'il a reçu le Lion d'Argent à la Mostra de Venise en 2014.
Pourtant, c'est un film qui rassemble l'expérience d'une vie, qui la transmet sans calcul avec une vraie générosité et qui a la beauté d'une grande œuvre de la maturité d'un grand créateur. À la fois contemplatif et plein de vie, il ne mérite pas l'indifférence. |