Pour "Belleville Shanghaï Express", Philippe Lafitte vise haut avec des références croisées à Joseph von Sternberg, par le titre qu'il veut un hommage au réalisateur du mythique "Shanghaï Express" avec la non moins mythique Marlène Dietrich en sulfureuse aventurière, et au dramaturge William Shakespeare avec en exergue une citation extraite du drame "Roméo et Juliette".

Mais, au lieu de ces références cinématographiques ou théâtrales, inappropriées en l'espèce à défaut d'épopée ferroviaire avec madone des sleepings se sacrifiant par amour comme d'amour à l'issue tragique, mieux vaut celle romanesque avec la Collection Harlequin, plus judicieuse tant quant au genre qu'au registre.

En effet, ce roman, truffé de clichés et de laborieuses descriptions, à la manière des feuilletonnistes du 19ème siècle payés à la page, pour tenter de créer l'illusion de la réalité, mais n'apportant aucun éclairage sur la psychologie des personnages et ne parvenant pas à créer une atmosphère autre que celle factice d'un décor, constitue, l'auteur étant également scénariste télévisuel, un bon scénario de téléfilm basé sur la thématique du conte de fées amoureux, en l'occurrence entre la princesse et le berger, déclinée à la sauce soja mâtinée nuoc-nam sur toile de fond de grabuge dans le riz cantonnais d'une Belleville Story lénifiante avec des durs et des méchants qui font figure d'enfants de choeurs au regard de la guerre des mafias asiatiques.

Entre Vincent Chêne et Line Li, le coup de foudre est immédiat et réciproque. Lui, étudiant peu motivé qui s'est découvert une vocation de photographe humaniste, est une "banane" - entendre un eurasien avec une mère normande laborieuse et poursuivie par la malchance qui gère une modeste gargote chinoise et s'occupe de sa belle-mère, une nonagénaire alzheimérisée, et un père vietnamien émigré dont la "disparition" après sa naissance est entourée de mystère - irascible et belliqueuse qui "zone" avec les glandeurs du quartier.

Elle, est une "nouachette" - entendre une chinoise - fille unique et adorée à la beauté explosive d'un paysan émigré qui a fait fortune, comme il se doit, dans la restauration, et est devenu un homme d'affaires qui veut remplacer les effluves de graillon par les fragrances de la finance. Destinée à reprendre le flambeau paternel pour le porter au plus haut, grâce à un master d'économie internationale, elle nourrit un rêve de fille des cités, celui de devenir top model, qu'elle entend bien concrétiser au cours d'un stage professionnel à Shanghaï.

Leur idylle édulcorée à peine consommée, et sobrement évoquée par "la rencontre des fluides", car même au troisième millénaire la branche pure et dure du roman à l'eau de rose ne se départit pas de son extrême pudeur au regard des choses du sexe, est interrompue par le départ de la belle.

Auparavant maman Chêne s'est inquiétée de l'oisiveté d'artiste de son rejeton, Papa Li fustige cette amourette avec un "viet" descendant de méprisable "boat people" sans le sou ni avenir et le jaloux cousin Yan, "une crapule qui parade en Porsche Cayenne", sans doute, pour certains, comme la Rolex, un des must de la réussite bling-bling, joue les frondeurs pour marques son territoire.

Entre le jeune homme poursuivi par la bellevilloise vindicte asiate et la jeune femme piégée dans la mégapole shanghaïenne par une naïveté de miséreuse des Balkans victime de la traite des femmes, le suspense est insoutenable (sic) ce qui explique la quatrième de couverture annonçant des "courses poursuites vers la liberté" et un roman qui entraîne le lecteur "tambour battant dans le sillage d'une jeunesse aux destins contrariés".

Vincent et Line se retrouveront-ils pour vivre heureux et avoir beaucoup d'enfants ?

Avis aux amateurs du genre, ne pas lire la suite "spoiler", encore que les codes du genre, dont son happy end, soient connus et attendus par le lecteur.

La réponse est oui. Car les secrets de famille sont purgés dans les règles (manichéennes) de l'art et de l'ordre moral. Line est sauvée grâce à l'intervention miraculeuse d'un occidental désintéressé et altruiste, de surcroît galeriste réputé qui reconnait immédiatement l'immense talent de Vincent et va le recommander à des confrères. Pour les enfants, il est fait une allusion équivoque à un test de grossesse...