Dimanche matin de fortes averses arrosent la Normandie. Je me lève précipitamment pour aller acheter un vêtement de pluie, qui se révélera totalement inutile dans l'après-midi. Par contre, déjà fatigué par les deux jours de festival précédents, je me recouche, me rendors et loupe les premiers groupes de l'après-midi.
Un ami me dit le plus grand bien de My Summer Bee. George Ezra, malade, a annulé son concert à la dernière minute. Il est remplacé par le groupe Caennais Elecampane, sideproject de trois membres de Concrete Knives. Les amis de "Milouze en live" me parlent d'un son qui va chercher chez Cure et Violent Femmes, et d'un beau potentiel pour ce groupe qui donnait à Beauregard seulement le cinquième concert de sa jeune carrière.
J'arrive donc pour Django Django dont c'est le premier festival français de l'été. Leur show est enlevé, sautillant. Leur album Born Under Saturn est une formidable machine à danser. Sur scène, Vincent Neff, le chanteur, est mis très en avant. On remarque néanmoins la belle entente qui existe entre les musiciens. On a affaire à un vrai groupe. On pense à Blur pour l'énergie souriante qui se dégage.
Bien plus que d'aller à l'essentiel en privilégiant les rythmiques, le groupe se réunit autour de Tommy Grace aux claviers pour parfaire leurs interprétations des effets synthétiques qui ont fait leur patte. L' échange avec le public, dont certains sont encore tranquillement assis dans l'herbe au soleil, est détendu mais c'est aussi un des points forts du groupe qui a donc offert une très belle performance à Beauregard.
C'est ensuite Asaf Avidan qui vient sur la grande scène pour son spectacle de jazz swing cabaret. Au-delà de la voix très particulière de l'israélien, qui rappelle celle de Duffy, le spectacle est clinquant avec une batterie qui brille, des guitaristes en jupe courte et en lamé doré. Sans apprécier les choix artistiques du chanteur, on saluera néanmoins un show rondement mené destiné à mettre en avant sa voix. Son tube "One Day / Reckoning Song", interprété en dernier titre rencontre un franc succès.
Benjamin Clémentine a sorti un disque, At Least For Now, de très belle tenue en début d'année. Cependant, sa performance se déroule sans éclat. Dans une nappe de brouillard, le britannique immigré à Paris semble se projeter dans un club de jazz. Penché sur son clavier, il regarde à peine le public et ne s'adresse jamais à lui. Accompagné d'un unique batteur, l'épurement de ses chansons ne trouve aucun écho chez les auditeurs. Son concert se déroule alors sans surprise et sans grand enthousiasme.
Par rapport à Daho, le contraste est saisissant. Après avoir commencé avec "Des Attractions Désastres" et "Saudade", celui qui fait désormais figure de parrain de la scène pop française, enchaîne avec "Réévolution" et "La Peau Dure", premier single de son dernier album, Les Chansons de L'Innocence Retrouvée. A 59 ans, la silhouette de Daho n'a pas changé. Pourtant, on le sent plus à l'aise sur scène aujourd'hui qu'il y a encore quelques années, mieux dans son corps et dans sa manière de bouger.
Après quelques chansons, il retire ses lunettes de soleil. Parmi les surprises de la setlist, on retrouve l'antédiluvien "Soleil de Minuit", extrait de son tout premier album Mythomane, et le toujours émouvant "Le Premier Jour Du Reste De Ta Vie".
Comment se fait-il qu'Étienne Daho dont plus de la moitié des chansons interprétées à Beauregard ce soir-là dataient des années 80 semble encore actuel, alors que Sting, vu la veille, fait figure de dinosaure ? Certainement y a-t-il chez Daho une écoute de ce qui se fait sur la scène actuelle, des choix de réorchestration plus musclée de ses tubes, mais aussi et surtout l'attitude d'un artiste qui ne se présente pas en terrain conquis.
Fureteur, toujours étonné et l'air bienveillant, il traverse le temps. Héritier de Gainsbourg et de Jacno, Étienne Daho n'est pas un éternel jeune homme, un Dorian Gray de la pop, mais il est celui qui parvient à faire le lien entre les chanteurs français des années 60 ou 70 et la scène actuelle, guitareuse ou électro. Daho, aujourd'hui et suite aux éclipses ou à la disparition des glorieux aînés, est un artiste dont on reconnaît toujours la patte, mais aussi un artisan capable de s'adapter grâce à une connaissance encyclopédique et à un savoir-faire d'expert, minutieux dans les finitions et attentif aux paroles. A ce propos, parmi les musiciens, on retrouvait avec plaisir Jean-Louis Pierot, ancien des Valentins et collaborateur de Bashung, Miossec ou de Brigitte Fontaine.
On a du mal à quitter le devant de la grande scène pour rejoindre Timber Timbre à l'autre bout du site tellement le public pousse pour être aux premiers rangs pour voir la star américaine de la soirée. C'est donc devant un parterre assez vide que le groupe de Taylor Kirk joue sa folk hantée et son blues ténébreux. Mais ils ne boudent pas leur plaisir de jouer à la nuit tombée dans un écrin de verdure devant un parterre de fans attentifs. Après le tendu "Curtains?!", les canadiens enchaînent avec "Blackwater" et font briller de mille feux la boule à facettes dans une ambiance très thé dansant à Amityville. Le concert fut intense, et un magnifique moment pour les quelques fans et curieux venus écouter le groupe plutôt que se masser devant la grande scène.
Après avoir joué avec David Bowie, la magnifique bassiste Gail Ann Anderson a trouvé un nouveau chanteur pour l'accompagner. On croit d'abord que c'est Gilbert Montagné à cause des lunettes noires qu'il n'enlèvera pas tout au long du show, mais il s'agit d'un certain Lenny Kravitz qui joue de la guitare comme l'aveugle joue du piano, c'est-à-dire en levant le menton vers le ciel et en remuant des hanches pour des mouvements aussi inutiles qu'inesthétiques. À côté de lui, on trouve un second guitariste qui a la coupe de cheveux de Brian May et presque sa technique. On découvre aussi une batteuse et trois choristes gospel. Il n'y a pas à dire, en échangeant Bowie pour Kravitz, et son show fumeux de rockstar besogneuse qui se la joue quasiment Christ Rédempteur, Gail Ann Anderson nous intéresse beaucoup moins. Fin de cette édition 2015 pour moi.
Nous craignions que cette édition fasse la part belle au rock facile, voire à la variété. Alors certes, les têtes d'affiche ne furent pas des plus enthousiasmantes, pour ne pas dire que certaines furent caricaturales (Sting, Kravitz, Christine & The Queens) ou inexistantes (Alt-J, the Dø), mais la programmation a réussi à faire de l'espace à quelques talents confirmés (Daho, Django Django, Johnny Marr, Florence and the Machine, Timber Timbre, Cypress Hill) et aussi à de belles découvertes (Jungle, Marmozets, the Strypes). Avec ses 80.000 spectateurs en quatre jours, son organisation attentive et le travail époustouflant des bénévoles, Beauregard a désormais sa place parmi les festivals incontournables de l'été en France après seulement sept éditions. |