A défaut de ne pas casser trois pattes à un canard (mais un canard n’est-il pas affublé de deux pattes ? Bougez pas, je vais vérifier sur le flacon d’Harpic… Si si, deux pattes !), donc à défaut de ne pas casser les deux pattes d’un canard (c’est cruel, non ?), Eloge du blasphème ne vaut que pour ce qu’il est : un essai surfant sur les thèmes marronniers, une catharsis pour Caroline Fourest.
Caroline Fourest a été journaliste chez Charlie Hebdo, elle s’est émue du mouvement du 11 janvier, et ne peut pas s’empêcher de dire un truc du genre "je vous l’avais bien dit" en forme de "Si tous les médias du monde avaient fait leur boulot, "Charlie" serait moins en danger". De toute façon, tout ce qui est dit, suggéré ou écrit à propos des attentats du 7 janvier 2015 est déformé par des érudits concernés, et ils vous feront dire ce que vous n’avez pas cru penser. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas avoir un avis sur la question.
Cet essai parfaitement subjectif et documenté aux unes racoleuses (références en bas de page) fait effectivement l’éloge du blasphème, carrément. Jusqu’à limite condamner ceux qui ne relaient pas le blasphème, ceux pour qui le blasphème est une méchanceté gratuite. Ceux-là même qui concluront que le blasphème est un faux débat, le vrai débat est de croire que tout le monde aime blasphémer. Et là, je vous arrête tout de suite, il ne faut pas pousser mémé dans les orties tout de même ! (ça pique et ce n’est pas très gentil, même si l’amabilité est devenue ringarde…).
Depuis quand tout le monde est sensé avoir la même opinion ? Pourquoi salue-t-on les incarcérations de Dieudonné alors qu’une caricature blasphématoire doit être approuvée ? Parce que Dieudonné ne s’est pas fait assassiner, vous allez me dire. Parce que quelques extrémistes moins couillus que les autres ont réussi à se faire entendre à coup de kalach-niktout.
Alors d’accord, en mémoire à ceux qui ne sont plus là, jetons un air bienveillant au sujet : "peut-on rire de tout ?". Tout le monde connaît la réponse, mais tellement peu la donnent : "oui, mais pas avec tout le monde". Alors quoi ? Quête de reconnaissance ? Que croyez-vous que nos chers Louis faisaient aux tripoteurs de pamphlets ? Ils saluaient le génie mais ne l’approuvaient pas. Ce qui semble visiblement avoir changé. Il faudrait approuver tout humour. Ben non.
Lulu a le droit de dire à Lili que c’est une grosse vache, Didi va gronder Lulu pour ces vilains mots, Lili mange trop de bonbons, c’est tout. Lulu pensera toujours que Lili est une grosse vache, et Lili en voudra à Lulu de mal lui parler, alors elle le traitera d’homosessouelle. Et Didi grondera Lili pour ces vilains mots, Lulu aime le rose, c’est tout. Vivre ensemble que ça s’appelle.
Oh et puis de longs passages sont consacrés au Front National le Terrible, un Imam pirate et à d’autres personnalités recruteuses de brebis égarées pour nourrir le troupeau de loups affamés que sont les politiciens. Ça ressemble à une guerre. C’en est peut-être bien une. Un nouveau genre de guerre froide par l’angoisse de la chute. Le fantasme du contrôle de la pensée par la manipulation. Ça ne vous dit pas un bon vieux combat en slip dans la boue, arbitré par de grands chevelus en toge et serpette ? Et serrez-vous la pince, bordel !
Bien sûr, lisez-le, vous vous ferez votre opinion, ou vous en définirez un peu mieux les contours. Il y a ceux qui aimeront, ceux qui approuveront, ceux qui éveilleront leur conscience à ce début de quelque chose que Caroline Fournet pointe, ceux qui ne verront pas bien où elle veut en venir exactement, et tous les autres… |