Seul en scène conçu, mis en scène et interprété par Robert Lepage.
Robert Lepage, acteur, auteur dramatique, metteur en scène et réalisateur québécois à la notoriété internationale, redevient comédien dans un seul en scène historico-autobiographico-autofictionnel qui ouvre le millésime 2015 du Festival d'Automne de Paris.
Intitulé "887", référence à l'adresse de l'appartement familial occupé au 8.87 de la rue Murray dans les années 1960, ce solo résulte d'une madeleine proustienne née de la proposition qui lui a été faite de participer au 40ème anniversaire de la Nuit de la Poésie en disant le poème "Speak white" écrit en 1968 par Michèle Lalonde qui traite du rapport à l'identité et à la langue des Canadiens francophones auxquels étaient appliqués l'injonction auparavant destinées aux esclaves des plantations.
Et ce poème, qui s'inscrit dans le cadre des luttes indépendantistes au Québec imbriquée avec une lutte de classes entre la population francophone prolétaire et la classe aisée anglophone, est entré en résonance avec son enfance.
Ce flash-back mémoriel conçu avec la collaboration de Steve Blanchet, directeur de création, décline donc, hors leur caractère personnel et anecdotique, les thèmes balisés que sont l'enfance, la mémoire et le télescopage de la petite histoire individuelle avec les faits historico-politiques de l'Histoire en majuscule.
Comme toujours avec Robert Lepage, même en solo, le spectacle est spectaculaire parce qu'il repose sur l'illusion de la simplicité alors qu'il repose une lourde et invisible machinerie technologique.
Et s'il fascine le spectateur, c'est en raison, d'une part, de sa qualité de narrateur qui, par sa virtuosité, joue efficacement de la logorrhée propre au conteur qui "embobine" et, par sa force de persuasion, tient en haleine et, d'autre part, par son registre du théâtre illusionniste.
Tous deux ressortissent au même processus qui renvoie le spectateur aux joies de l'enfance, celle de l'histoire du soir entendue avant de s'endormir, des jeux enfantins avec l'utilisation de la maison de poupées, des maquettes, des modèles réduits et des figurines, et de la magie, l'essence même du théâtre qui est un art de l'illusion, en imaginant un dispositif scénique qui a l'apparente simplicité et le fonctionnement d'une boîte magique.
Le spectacle est bien rodé et ne souffre pas d'improvisation. Robert Lepage tient bien son propos avec une écriture scénique qui ne s'impose aucune limite en terme de registre artistique mais, malgré cette immersion dans l'intime, l'émotion ne sourd qu'au final quand il dit le poème précité, sans doute le plus beau moment du spectacle.
Certes il n'arrive qu'aux termes de deux heures d'un spectacle qui ne pâtirait pas d'être un peu resserré d'autant que la magie n'est pas celle du lapin qui sort d'un chapeau mais repose sur un lourd dispositif technologique, version moderne du castelet sur tournette, piloté par de nombreux régisseurs en backstage dont la présence, au demeurant légitime, lors des saluts, démystifie tout le merveilleux.
Et puis, passé le premier émerveillement à voir une façade d'immeubles animée se transformer en cuisine à l'échelle réelle ou en maquette de place urbaine, il finit lui aussi par tourner un peu en rond du fait de la réitération du procédé.
Cela étant, le public est au rendez-vous et le spectateur ne doit pas bouder son plaisir face à cette performance technique. |