Au Grand Palais se tient l'exposition "Picasso.mania" organisée par la Réunion des musées nationaux-Grand Palais, le Centre Pompidou et le Musée national Picasso, ainsi présentée : "Cent chefs d’œuvre de Picasso, dont certains jamais montrés, confrontés aux plus grands maitres de l’art contemporain".
Supervisée par Didier Ottinger, directeur adjoint du Musée national d'Art moderne-Centre Pompidou, elle est conçue sous le commissariat de Diana Widmaier-Picasso, petite fille de l'artiste et historienne de l'art, et Emilie Bouvard, conservatrice au Musée national Picasso.
Son propos est de "retracer les différents moments de la réception critique et artistique de l’œuvre de Picasso" et montrer comment les oeuvres contemporaines "répondent" à ses phases stylistiques et à certaines de ses œuvres emblématiques.
Les commissaires ont opté pour un parcours chrono-thématique avec des titres de sections qui flashent à l'international ("Star system", "C'est du Picasso !", "Picasso goes pop"), scénographié par Iva Berthon Gajsak et Giovana Comana de l'Agence bGc Studio.
Celui-ci ne procède pas à l'appariement mais vise à l'instauration de "passerelles visuelles" à partir des oeuvres picassiennes accrochées à l'ancienne, façon pêle-mêle du 19ème siècle, et les autres oeuvres figurant dans des salles soit thématiques soit monographiques pour le club des cinq "élus" - David Hockney, Roy Lichtenstein, Jasper Johns,
Martin Rineke Dijkstra
- bénéficiant d'un espace dédié
Picasso.mania, à la manière de... ?
Se repérer dans cette monstration-fleuve de plus de quatre centaines d'oeuvres comportant peu de cartels didactiques, les commissaires s'en remettant à la sagacité analytique et critique du visiteur, pour ce dernier, qui n'est pas exégète de l'oeuvre de Picasso et ne maîtrise pas toute l'Histoire de l'art du 20ème siècle,
s'avère une entreprise est hasardeuse, et ce, à plus d'un titre.
En premier lieu, en raison de la contradiction interne du discours des commissaires qui récusent le parallèle avec l'exposition "Picasso et les Maîtres" au motif que "Picasso.mania" ne vise pas à ériger Picasso en maître mais à le voir comme" la source d’un dialogue" tout en le positionnant comme figure tutélaire de l’art contemporain.
C'est-à-dire précurseur de tous les mouvements, notamment américains, du minimalisme à l'art conceptuel via le Pop Art tout excluant notamment, et de manière inexplicable, l'expressionnisme abstrait dont les réprésentants manquent à l'appel
alors même qu'influencés par le cubisme, ce que ne démontre pas vraiment le panoptyque vidéo ouvrant l'exposition avec les interviews d'artistes dont certains éludent la question relatif à l'influence picassienne.
Ensuite, parce qu'elle croise deux approches différentes.
D'autre part, la mise en résonance thématique des oeuvres comme par exemple le thème de la guerre avec la toile "Guernica", en l'espèce sous forme d'une tapisserie au coeur de l'installation de Goshka Macuga ('The Nature of the Beast") encadrée par une immense toile de Léon Golub, "Vietnam II" et la composition d'animaux naturalisés de Adel Abdessemed ("Who’s afraid of the Big Bad Wolf ?");
Cette présentation est illustrative et ne démontre pas que ces deux artistes ont souhaité nouer un dialogue avec Picasso. La pratique d'une même thématique n'implique pas davantage l'existence d'une influence, d'autant, qu'en l'espèce, par sa longévité artistique et son abondante production, il a traité de nombreuses thématiques. Son oeuvre pourrait donc être confrontée à n'importe quelle oeuvre subséquente.
D'autre part, l'utilisation par les artistes contemporains, dont la plupart sont de grands noms, et non de grands maîtres, de la vieille garde de l'art contemporain, les deux tiers étant nés avant 1950 et cinq nés après 1970, de la figure de Picasso et de certaines toiles emblématiques dans des optiques et démarches opposées.
Ainsi si
des portraits de Picasso s'inscrivent en hommage, le "Untitled (Picasso)" de Maurizio Cattelan représentant l'artiste en pied comme un mannequin de carnaval en carton-pâte ressort davantage à la caricature irrévérencieuse.
S'agissant de la déclinaison de toiles de Picasso, à l'instar de "La Femme au chapeau fleuri" de Roy Lichtenstein et la "Dora Marra revisitada" de Antonioa Saura pour le portrait de Dora Maar
ou les demoiselles d'Avignon revues par Robert Colescott,
Richard Petibone, Sigmar Polke, Raphael Agbodjelou, ou copiées par
Mike Bidlo, elles posent la vraie question qui affleure en filigrane, celle de l'appropriation artistique qui se révèle un bon angle d'attaque pour cette exposition.
Car cette pratique, qui a toujours existé, avec les études d'après les toiles de maîtres, et dont Picasso fait figure de parangon avec son phagocytage, qu'il soit qualifié de "dialogue tendu avec la grande tradition de la peinture" ou de "cannibalisme picassien", constitue le point commun des artistes exposés. Et elle constitue une tendance majeure, sinon essentielle, de de l'art américain, en l'espèce, largement représenté, trouvant son acmé avec le simulationnisme.
Mais le terme générique, qui a donné lieu à un mouvement artistique, celui des appropriationnistes, tel Richard Prince présent dans l'exposition, qui revendiquait et assumait cette pratique à laquelle est conférée une dimension socio-critique, recouvre de nombreuses pratiques affiliées davantage au "ready-made" qu'à la recherche d'une style plastique personnel et des réalités polysémiques : influence, inspiration, emprunt, confrontation, imitation, ré-interprétation, recontextualisation...
L'exposition se clôt avec un florilège de "bad painters" et "The Great Wall in Paris", le "mur érotique" de Georges Condo, également spécialiste des "gueules cassées à la Picasso", qui
suit la présentation d'une série d'eaux fortes inspirées des amours du peintre Raphaël et de son modèle la Fornarina exécutées en 1968 par Picasso.
A la sortie, demeure une question, celle du dialogue entre Picasso et les artistes émergents du troisième millénaire.
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