Spectacle conçu et mis en scène par Pascal Rambert, avec Emmanuelle Béart, Audrey Bonnet, Stanislas Nordey, Denis Podalydès et Claire Zeller.
Dans un quart de gymnase où trône un panier de basket, quatre acteurs sont répartis autour des lignes indiquant la zone de tir des handballeurs où celle des lancers francs des basketteurs.
Les quatre acteurs sont donc quatre joueurs, quatre passeurs susceptibles de se prendre la parole, d'aller en zone défendre ou attaquer quand l'un ou l'autre s'en ait emparé.
Dans ce dispositif, le "susceptible" n'intervient pas. Les quatre discours vont se suivre, se poursuivre, car une part du discours est le texte que l'on répète, l'autre part étant le discours du metteur en scène répété ou remâché différemment par chaque membre du quatuor désigné par son vrai prénom d'acteur.
Cette explication du procédé rambertien dans "Répétition" est important pour la "quiétude" du spectateur qui va aimer ce flot complexe, subjuguant comme une oraison de Bossuet ou lyrique et poétique comme les textes parlés de Léo Ferré.
Car, hélas, celui qui n'est pas préparé reste sidéré par le premier monologue prononcé par Audrey Bonnet, d'une voix forte et péremptoire. Il ne comprend pas forcément tout de suite que "Répétition" n'est en apparence qu'une suite de quatre monologues qui se répètent, se disent et se contredisent.
Alors, au cœur du second flot de mots qui advient, celui qu'Emmanuelle Béart doit faire jaillir plus dans le chuchotement que dans le cri, dans l'intime plutôt que dans le bruit, quand certains spectateurs comprennent enfin le principe de base de la prose rambertienne, ils n'hésitent pas à quitter le navire. On a alors mal pour l'actrice qui a hérité de la part la plus difficile de la partition et qui essuie de plein fouet le logique rejet du texte par ceux qui n'ont pas envie d'entendre des mots qui ne leurs sont pas forcément destinés.
Il faut le dire : "Répétition" est un texte dense, profond, dans lequel l'auteur se livre ainsi que ses acteurs, tous à peu près de sa génération, à un bilan en forme d'introspection sur leur premier demi-siècle.
Car ces néo-quinquagénaires encore et toujours en jeans et en baskets, ces faux jeunes éternels, appartiennent à la génération qui suit celle des soixante-huitards, celle qui lui a longtemps coupé les ailes, a tout fait pour qu'elles ne repoussent jamais.
Enfants des idéologies perdues et des sexualités faussement libérées, ils comptent les points, les poings serrés. Quand l'un d'entre eux parle, ils font comme ici une ronde silencieuse. Ils ne taisent pas : ils parlent des mots silencieux en jouant avec une serviette, en écrasant une petite bouteille d'eau, en s'aplatissant par terre ou en tournant comme des toupies torse nue.
Pascal Rambert a donc choisi de s'adresser à sa seule génération, en espérant que les autres comprendront toute la souffrance rentrée qu'elle vit, prise entre les vrais jeunes et les soixante-huitards.
Contrairement à "Fin de l'histoire" où Christophe Honoré fait assaut de démagogie et de cynisme pour attraper tout le monde dans une auberge espagnole où chacun fait idée de ses lieux communs, Pascal Rambert essaie de trouver une vérité contingente qui aidera à faire émerger une vérité plus large.
Force est de constater que le résultat est puissant. Ce qu'il fait dire à Denis Podalydès, puis à Stanislas Nordey, le quatrième et ultime maillon de sa chaîne, celui qui fait justement le point sur le bilan de cette génération, résonne fortement avec les événements du moment. Il faudrait lire crayon en main le texte de "Répétition" pour en mesurer la profondeur.
C'est en grand moraliste que cet authentique dramaturge annonce des temps nouveaux où il faudra que les corps et les esprits reprennent vie commune. Quatre acteurs, quatre passeurs donc et une attente utopique dont on taira la forme, mais qui est là pour leur dire que la roue tourne, qu'ils n'auront de toute façon pas le dernier mot. Qu'il n'y a d'ailleurs pas de dernier mot quand surgit la grâce, quand surgit la danse. |