Premiers romans pour talents débutants, les éditions Préludes sont de véritables découvreurs de perles littéraires. La dernière vient de Boston et a déjà reçu un prix pour un recueil de nouvelles publié aux Etats-Unis. Elle porte le petit nom de Jessica Treadway et a choisi de nommer son roman D’un mauvais œil.
Quelle claque ! Une complexe relation mère-fille, arrosée de rancune pimentée et de vengeance glaciale. Un délice noir à laisser fondre lentement sous son oreiller.
L’histoire commence au cœur de l’action : un couple massacré à la batte de base-ball, comme on n’en trouve que dans les glauques (et non moins croustillants) faits divers en dernière page de quotidien. A l’exception près qu’Hanna Schutt survit au contraire de son mari (pas facile avec un trou dans la tête). Défigurée et amnésique (c’est bien pratique), elle se reconstruit tant bien que mal avec ses fantômes (armés de battes de base-ball).
Le roman commence après, quand on croit que finalement tout va bien, la vie a repris son court, le méchant est en prison, la reine des abeilles de fille ainée est mariée, installée et élève tranquillou ses bébés en prenant de temps à autres des nouvelles de sa maman. La seconde fille et son complexe de "l’œil qui dit merde à l’autre" opéré vit elle aussi loin des cauchemars maternels.
Mais alors, pourquoi faire un roman ? Parce que les secrets les mieux enfouis font les meilleurs histoires. Trois ans après l’agression et le procès, Rud, le principal accusé fait appel. Il a la chance (risque ?) d’être libéré. Persuadé qu’il est coupable, Iris (la reine des abeilles) tente de convaincre sa mère de se plonger dans les méandres de sa mémoire traumatisée pour distinguer les éléments qui le laisseront en cage jusqu’à la fin des temps.
C’est sans compter l’amour transi que Dawn porte à Rud, et la conviction qu’il est innocent.
J’ai gardé l’élément le plus croustillant pour maintenant : Rud est le super beau gosse petit ami de Dawn (la complexée-œil-de-travers-opéré). Juste au moment où je commençais à associer le scénario avec le pilote des Experts en Amérique, Jessica Treadway retourne la situation d’une main de maître. Et Dawn fait du charme à sa mère pour revenir habiter chez elle. Pour la manipuler probablement. Pour la soutenir dans sa quête de vérité certainement.
Le roman est vécu du point de vue d’Hanna la suppliciée qui cache la moitié de son visage défiguré d’une mèche de cheveu (qui montre plus ce qu’elle veut cacher qu’elle ne le cache vraiment). Ses doutes, les piques permanents entre ses deux filles, les regards en coin, la compassion de l’inspecteur chargé de l’enquête, le silence obstiné de sa meilleure amie, et les soupçons…
Les parents idéaux n’ont pas d’enfant préféré, les parents honnêtes ont toujours un penchant pour un de leurs enfants. Chez les Schutt, Dawn avait la compassion toute particulière de sa maman (moins jolie, moins brillante), alors qu’Iris avait celle de son papa (plus téméraire, plus audacieuse). Jalouses comme des pies, envieuses comme des corbeaux, les deux sœurs se sont disputées l’amour de leur mère. Et puis elles ont grandi, se construisant une nouvelle vie, oubliant les rancœurs du passé. Ou pas.
Le roman est fait de cette jalousie, de la rancune tenace et d’une sombre vengeance qui vous glace d’effroi. Un irrésistible entrelacs où les sentiments ne sont pas ce que l’on croit. Vous réfléchirez à deux fois à ce que vous dites après cette lecture. Qui sait si ce que vous pensiez anodin ne sera pas perçu D’un mauvais œil ? |