L’être à la nuit
(Rock with you / BMK) janvier 2016
Elle a roulé sa bosse avec Quentin Chervier, puis Grise Cornac a dévoilé son univers dans L’être à la nuit. Poétique complément de sa prose et de ses sons, en forme shakespearienne : appartenir à la nuit comme un prisonnier appartient à ses quatre murs, ou ne faire qu’un avec ces moments mystérieux où les ombres discrètes relèvent leur charme et cachent d’inavouables secrets ?
J’imagine un grand bonhomme tout sec au visage de reptile, un monocle à l’œil, les doigts crochus invitant à la contemplation d’une improbable moulure sur un encorbellement d’escalier poussiéreux : Regardez le cachet de ceci madame, regardez... Son sourire est étrange, trop carnassier pour ne contenir aucun organisme modifié… Bougez pas, je vais voir s’il n’y a pas quelque chose sous mon lit. Je crois entendre d’ici le décollement visqueux d’une ventouse de tentacule prolongement logique d’un être difforme et souriant.
Et c’est là que nous emmène Grise Cornac, au son du violoncelle, elle accorde nos pensées dans la direction des cauchemars ou des rêves les plus brumeux. Les pianos, guitares et percussions forment un ectoplasme en robe de nuit blafarde, flottant entre deux airs, bienveillant ou pernicieux ?
Certes, il y a de la mélancolie, mais c’est vers les secrets et les inconsciences des mystères que mon esprit-es-tu-là s’oriente spontanément à son écoute. Il y a de la magie dans son chapeau.
"On se dédouane en cabane, on se dévore en cellule, et nos âmes dorment debout, devenu ton ivresse à ton insu, je me dévore le cœur" ("J’nous cadenasse").
Des touches qui s’envolent, le violoncelle qui ralentit mystérieusement la cadence et la voix de Grise Cornac prêtant sa voix à ses paroles enivrantes de poésie et de nature "tant de vert, tant de blé à travers champ, couchant les blés du soleil, fuyant dans la plaine, dévalant les jaunes sifflants à grandes enjambées aux vents heureux s’envolent les sables en grains, les dunes en or, se reforment ailleurs de l’autre côté de la frontière et au passage retournent toutes les têtes des roses trémières car le vent balance chaque herbe en son sens" ("Le peuple du vent").
La scie musicale sur "Ces animaux-là" joue avec le sens des mots qui font les sons de l’album, et ça fait agréablement grincer les fibules monastiques des petits félins en furie… Grise Cornac a su s’entourer pour construire cet album, il est un aboutissement d’une histoire, avec sa personnalité, travaillée jusqu’au bout des ongles.
En ondulations oniriques prêtant à la flânerie des pensées, L’être à la nuit de Grise Cornac vous guide dans la brume du coin de votre esprit qui aime s’envoler dans des balades à la lune, pour vous perdre dans une forêt sombre, très sombre et vous faire à nouveau gouter ce délicieux frisson du monstre enfoui.
Hors norme et si familier, L’être à la nuit est un merveilleux moment d’ailleurs entre ses deux oreilles, les yeux dans le vague et le sourire béat des contemplatifs heureux.
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