Réalisé par Bouli Lanners. France/Belgique. Comédie dramatique. 1h38. (Sortie le 27 janvier 2016). Avec Albert Dupontel, Bouli Lanners, Suzanne Clément, Michael Lonsdale, Max von Sydow, David Murgia, Aurore Broutin, Philippe Rebbot, Serge Riaboukine, Lionel Abelanski et Virgile Bramly.
En 2015, deux enthousiasmants et roboratifs films belges - "Je suis mort mais j'ai des amis" de Stéphane et Guillaume Malandrin et "Le Tout Nouveau Testament" de Jaco Van Dormael - ont suscité l'attention par leur registre singulier qui ressort au surréalisme au sens propre du terme.
En 2016, le comédien, scénariste, metteur en scène et réalisateur belge Bouli Lanners, qui figurait au générique du premier cité, signe avec "Les Premiers, les Derniers" un opus qui se situe à la croisée des chemins dans le même registre de la fable mystico-surréaliste.
Mystique parce que croyant, Bouli Lanners assume que le mysticisme est "son prisme", sa grille de lecture du monde qui repose sur la foi en l'homme, avec ce que cela implique d'humanisme, d'angélisme et de manichéisme, et son film constitue, hybride de mystère et de roman graphique, un avatar cinématographique des Béatitudes bibliques relatives à la félicité de ceux qui, bien que rejetés du monde mortel, sont des âmes bénies qui iront au Royaume des Cieux.
Surréaliste parce qu'il repose sur une trame - la recherche d'un téléphone volé qui contient des informations compromettantes pour son propriétaire - qui s'avère un simple "macguffin" et un scénario dont si chaque élément peut être plausible, tels le voleur, un marginal demeuré et désocialisé (Fabrice Murgia) qui croit à la fin du monde entraîne dans son délire sa fiancée, atteinte de débilité légère (Aurore Broutin), qui veut revoir sa fille une dernière fois, l'existence d'un gang rural (mené par Serge Riaboukine) et le vagabond christique (Philippe Rebbot), nouveau messie ou délire psychotique, la réunion défie l'entendement.
Donc un film à voir en abandonnant toute velléité de rationalité. Quasi unanimement qualifié de "western métaphysique", il opère une immersion crépusculaire dans un monde parralèle, une quatrième dimension invisible peuplée de marginaux, de vagabonds, de déshérités, de figures d'apôtres (Michaël Lonsdale, tenancier d'un improbable hôtel en pavillon qui cultive sa serre, et Max von Sydow en croque-mort présidant un enterrement sauvage dans des scènes d'exception) et d'une femme lumineuse (Suzanne Clément).
Cochise (Albert Dupontel gros dur spécialiste du "coup de boule") et Gilou (Bouli Lanners dur au coeur tendre), deux cinquantenaires solitaires, hommes de main en bout de course qui n'ont rien fait de leur vie, rempilent une fois encore pour la chasse à l'homme mais, dans tous les sens du terme, le coeur n'y est pas pour le second, il y a quelque chose qui cloche.
D'autant que leur périple à la poursuite d'un voleur atypique se teinte d'une inquiétante étrangeté dans les plaines désertiques et humides de la Beauce en hiver, entre immenses étendues de terres, maisons isolées, usines désaffectées et routes qui se croisent.
Formellement, le film, qui bénéficie d'une superbe bande-son composée par Pascal Humbert, le bassiste des ex-16 Horsepower, de Wovenhand, Lilum et de la formation Détroit, est également sous influences profanes, tant esthétiques que littéraires livrées à la sagacité du spectateur.
En ce qui concerne la photographie, magnifique, de Jean-Paul de Zaeytijd, et notamment les plans larges de paysages dépourvu de présence vivante, la récurrence du dispositif, une ligne d'horizon centrale, un tronçon de route sans début ni fin, séparant le ciel de la terre avec un environnement immédiat réduit à sa plus simple expression visuelle, emprunte à la photographie documentaire allemande.
Cette métaphore topographique de la vie, espace entre deux néants, constitue la trame sur laquelle se greffent, à la manière de vignettes, des bribes d'histoires placées sous l'égide d'une possible, pour le juste, renaissance à soi soutenues par une interprétation émérite.
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