Depuis une dizaine d’années, j’enseigne la traduction à l’université. C’est compliqué, de donner de grandes lignes, des vérités générales sur le passage d’une langue à l’autre : je ne peux que donner des pistes, des catalyseurs d’instinct. Il existe bel et bien une science de la traduction (la traductologie, que m’avait assez magnifiquement enseigné Mme Claude Demanuelli), mais une fois les mécanismes d’une langue et de l’autre décortiqués, les difficultés du glissement de l’une à l’autre démontées, on finit souvent par un constat : tout dépend du texte. La traduction, où le contexte est roi, est un renoncement.
Dire presque la même chose, disait Umberto Eco pour définir la traduction. Traduire, c’est trahir, entend-on aussi parfois. C’est vrai, et ce n’est pas grave ; c’est beau. L’idée, en musique, de ne jamais atteindre le niveau des Beatles (cf. épisode précédent) ne doit pas être vue comme une frustration : c’est au contraire une ouverture, une libération. En traduction, c’est exactement la même chose.
À l’université, la traduction continue d’être enseignée comme une manière de sanctionner le niveau de langue des étudiants, plutôt que comme une discipline à part entière. C’est une matière que nombre d’entre eux détestent, parce que les notes descendent parfois assez bas pour des raisons objectives (le système de points-faute est sans appel), mais sans que l’on puisse s’améliorer en théorie ; seule la pratique compte, ou presque. C’est certainement un peu frustrant, pour un étudiant, de s’entendre dire "tu devrais être plus attentif aux accords lors de ta relecture… et sinon, et bien, lis davantage et essaie encore".
Voici un exemple, donné par la linguiste Hélène Beciri, qui montre à quel point on est parfois à côté de la plaque dans l’enseignement de la traduction au niveau universitaire. Sans doute terrorisé à l’idée de perdre des points pour omission (la faute la plus grave dans le barème de la traduction telle qu’enseignée à la fac), un étudiant en Master avait traduit le passage suivant d’un guide de vulgarisation informatique :
FLOPPY DISK - ALSO KNOWN AS A DISKETTE
de cette manière :
DISQUETTE - ÉGALEMENT APPELÉE DISQUETTE
Il faut arrêter de concevoir le texte de départ (ou les Beatles) comme un bloc de marbre indéplaçable, dans lequel serait gravé le texte. "L’original" est au contraire une matière vivante : si dans la traduction d’un énoncé donné, on a l’impression de ne pas avoir tout restitué, il faut apprendre à renoncer : d’une part, la déperdition sémantique va de pair avec le passage d’une langue à l’autre (surtout l’anglais et le français, qui n’en finissent jamais de me fasciner dans leurs différences), d’autre part, tout espoir n’est jamais perdu : telle information implicite dans telle modalité anglaise (les choeurs de "I’m only sleeping") sera peut-être intraduisible directement dans la phrase qui lui correspond, mais pourra ressortir ailleurs, plus tard dans le texte, ou d’une autre manière, dans le style plutôt que dans les mots ("Seashore and horizon" de Cornelius []).
Récemment, la responsable du Master LEA de la fac où j’enseigne m’a demandé des arguments pour défendre une matière, la traduction technique, menacée de disparaître du livret l’an prochain. Ma réponse a dû la surprendre.
Plutôt que de chercher à promouvoir cette discipline où, encore en 2016, seul un dictionnaire papier est autorisé en examen et où l’on refuse aux étudiants l’accès aux outils numériques (là où il s’agirait plutôt de leur apprendre à bien s’en servir), terrorisé qu’est à son tour le corps enseignant à l’idée de tricherie (Mais quelle tricherie ? La traduction consiste précisément à tricher !), je lui ai tout simplement répondu que je comprenais qu’on souhaite la faire disparaître, en l’état.
J’ignore comment les choses se passent dans les autres universités, et si cette approche archaïque est propre à ma chère petite faculté stéphanoise (que par ailleurs j’aime inconditionnellement), mais tant qu’on ne sera pas un peu plus concret dans l’enseignement de la traduction, un peu plus en prise avec la réalité de ce métier, dans toute sa beauté et sa diversité, on prendra le risque de dégoûter les étudiants plutôt que de susciter des vocations. Et une fois encore, il faudra renoncer.
Le printemps, les giboulées de mars, les balades au soleil ... la vie presque parfaite s'il n'y avait pas tant de méchants qui font la guerre. Pour se détendre, cultivons nous !. Ajoutons à cela nos chaines Youtube et Twitch et la semaine sera bien remplie.