Texte de Sarah Kane, traduction Evelyne Pieiller, mise en scène de Bruno Boussagol, avec Nouce Jouglet-Marcus et Barnabé Perrotey.
Le 20 février 1999, Sarah Kane, auteur dramatique, âgée de 28 ans, se donnait la mort par pendaison dans les toilettes de l'hôpital psychiatrique londonien où elle était soignée. 4.48 Psychose est son dernier texte. Il parle d'une dépression psychotique, la sienne, celle née du rejet de Dieu, de la perte de la foi qui l'ont plongée tardivement dans le monde réel dans lequel elle ne veut pas vivre.
Le spectateur entre dans la salle vêtu d'une blouse blanche, de cette blouse blanche d'hôpital qui aussi, à l'instar de l'ancien tablier d'écolier ou de la robe d'avocat, symbolise l'effacement de toute différence, chaque individu est anonyme et interchangeable, la bonne conscience de chacun ayant pour légitimité la responsabilité diluée au sein du groupe. Et là se glisse Barnabé Perrotey, le médecin témoin impuissant.
Un corps nu, tel un gisant, repose immobile sur une table médicale. Son corps est ailleurs, entre la mort et le passage, et seule subsiste son âme, une âme qui a atteint le degré de conscience et de lucidité ultime. Et cette âme parle, se tord dans ses dernières convulsions pour tenter de dire l'indicible et en appeler à la conscience de l'autre.
L'âme c'est Nouche Jouglet-Marcus. Qu'en dire ? Quels termes utiliser qui puissent rendre compte de son implication dans ce monologue imprécatoire et implorant ? Performance, prestation, interprétation, incarnation ? Elle nous délivre avec une force et une vérité exceptionnelles un texte radical, fulgurant, violent, dense, d'une puissance émotionnelle rare, éclairé mais aussi lumineux, humaniste et rempli d'amour et d'espoir.
Un texte qui est aussi une expérience sur la forme, sur la langue, et sur le rythme des mots qu'elle nous transmet par les seules émanations vocales et subliminales dans une mise en scène épurée. La tension implacable, tombe sur les épaules des spectateurs comme une chape de plomb, jusqu'à devenir intolérable. Et si l'un de nous se levait, allait prendre cette main inerte ? Bien évidement, personne ne se lèvera parce qu'il s'agit de théâtre. Mais son rôle est écrit et c'est dans la vie qu'il l'interprètera.
Sarah Kane avait résolument raison, elle qui militait pour un théâtre vivant, le théâtre qui montre l'homme à l'homme pour changer le monde. "J'ai vu une pièce de théâtre qui a changé ma vie... Elle a changé ma vie parce qu'elle m'a changée, ma façon de penser, ma façon de me comporter ou du moins la façon dont j'essaie de me comporter. Si le théâtre peut changer la vie de quelqu'un, par voie de conséquence, il peut certainement changer la société puisque nous en faisons tous partie."
Il est absolument urgent d'y aller !
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