Comédie dramatique de Martin Sperr, mise en scène de Pénélope Biessy, avec Ariane Blaise, Elsa Boyaval, Marthe Fieschi, Lisa Kramarz, Martine Legrand, Paul-Frédéric Manolis, Laurent Prache et Jérôme Wirtz.
Longtemps "Scènes de chasse en Bavière" a été célèbre grâce au film puissant de Peter Fleischmann. Sorti en 1969, contemporain des premiers films de Fassbinder, de Volker Schlöndorff et de Werner Herzog, il a marqué le renouveau du cinéma allemand.
Dans le film, le drame se passait dans les années 1960 et l'histoire de cet homosexuel traqué par les bons citoyens bavarois se lisait comme une critique de la RFA dominée par la bien-pensance démocrate-chrétienne et mal guérie de son frais passé nazi. L'acteur principal du film, âgé de 23 ans, jouant Abram l'assassin traqué, n'était autre que Martin Sperr l'auteur, trois ans plus tôt, de la pièce dont s'inspirait Fleischmann.
En revenant à ce texte, grâce à la version proposée par Pénélope Blessy, on s'aperçoit que Sperr avait situé ses "Scènes de chasse" en 1948, ce qui change forcément le contexte et les enjeux.
D'abord, au lieu d'être contemporain du bouillonnement fassbindérien influencé par la Nouvelle Vague et par les expériences théâtrales pré et post soixante-huitardes, le travail de Martin Sperr se lit et se voit comme un exercice d'un jeune auteur doué fortement influencé par Brecht. Chacun des nombreux personnages est dès lors porteur d'une parole sociale.
Ensuite, ce retour à l'immédiat après-guerre fait évoluer "Scènes de chasse en Bavière" vers une description d'une Allemagne occupée pas encore formellement divisée en deux entités, une "Allemagne année presque zéro" où la vie est difficile, voire chaotique.
Dans un décor unique, censé figurer la cour d'une ferme, un décor encombré d'objets rustiques comme une auge pour laver la vaisselle ou un pneu suspendu à une corde, cohabitent et s'interpellent de nombreux protagonistes. Discours triviaux, propos exprimant rancoeurs et souffrances se succèdent.
Dans une atmosphère empreinte de religiosité catholique propre à la Bavière, on y sent chez tous la recherche confuse d'un bouc-émissaire, d'une explication commode de tous les malheurs qui frappent les survivants de l'après-guerre. Est-ce que ce sera la prostituée, le simple d'esprit ou l'homosexuel ? Martin Sperr construit patiemment le piège qui va se refermer sur Abram.
Chacun va y prendre sa part dans cette communauté qui n'existe plus que négativement, face au mal dont elle n'est que l'ultime réplique après le tremblement de terre nazi. Pénélope Biessy a bien perçu cette importance du collectif. Sa direction d'acteurs, parfaitement bien distribués, crée l'effet choral attendu et peu à peu, la tension monte inexorablement.
La fatalité finale est parfaitement rendue. Sans doute la fluidité de la pièce est-elle entravée par la nécessité de faire jouer à chacun de ses sept comédiens plusieurs rôles.
Si l'on accepte un parti-pris naturaliste qui aboutit à la construction de personnages bruts, plus manichéens que complexes, on adhèrera à cette vision volontairement datée de "Scènes de chasse en Bavière".
D'un texte difficile et pas évident à monter, Pénélope Biessy tire un travail cohérent, certes noir et désespérant, mais qu'elle sait mener à bon port en évitant l'écueil du mélo. |