Comédie-ballet de Molière et Lully, mise en scène Clément Hervieu-Léger, avec Erwin Aros, Clémence Boué, Cyril Costanzo, Claire Debono, Stéphane Facco, Matthieu Lécroart, Juliette Léger, Gilles Privat, Guillaume Ravoire, Daniel San Pedro, Alain Trétout, et les musiciens des Arts Florissants sous la direction de Paolo Zanzu.
Clément Hervieu-Léger présente "Monsieur de Pourceaugnac" dans sa forme originelle de comédie-ballet avec la musique de Lully et l'intégralité des intermèdes interprétés par les chanteurs et musiciens de l'Ensemble de Arts Florissants dont William Christie, son fondateur, assure la conception musicale.
Inspirée de scenari de la commedia dell'arte, la partition de Molière, qui aurait pu être sous-titrée "La folle journée de Monsieur de Pourceaugnac" ou "La curée du Limougeaud" ressort de la farce noire dès lors qu'elle va au-delà de la simple comédie pour berner un pater familias autoritaire ou un tyran domestique rongé de vices ou de travers dommageables.
En effet, Pourceaugnac est une victime innocente dont le seul tort réside en son mariage arrangé avec une "parisienne", une pécore qui a déjà un galant, et les seuls défauts, l'origine provinciale et le manque de malice selon le portrait brossé en un trait par Molière : "ses lumières sont fort petites, et son sens le plus borné du monde".
Si la cause, empêcher un mariage forcé, est légitime, les moyens utilisés vont au-delà de la simple dissuasion du père par des accusations mensongères de folie, de polygamie et de ruine de l'indésirable prétendant pour tendre à la cabale pouvant conduire ce dernier à l'asile ou à la prison, Molière évitant toutefois la fin tragique de George Dandin créé une année auparavant.
Une autre novation tient à la roublardise des jeunes amants qui ne sont plus des ingénus aidés par une domesticité compatissante mais des roués utilisant les bons offices des coquins aguerris et hommes de main sans scrupule, au premier rang desquels Sbrigani, le bien-nommé, expert en "machineries" qui donnent lieu à une successionde mascarades constituant un catalogue des thématiques moliéresques, de l'amour contrarié à la satire de la médecine et de la justice, le tout sur fond de gros sous.
Les parti-pris de Clément Hervieu-Léger aboutissent à un agrégat dont l'anachronisme surprend, voire laisse dubitatif, entre le décor de façades grises sur chassis mobiles conçu par Aurélie Maestre qui évoque l'iconographie du cinéma expressionniste du début du 20ème siècle, la transposition à la fin des années 1940 résultant des costumes et des éléments accessoires, telles la bicyclette et la voiture Simca 5 qui fait sensation, le registre de la commedia d'ell arte à la De Filippo et l'esthétique baroque de la musique du 17ème siècle.
La mise en scène est placée sous un rythme frénétique qui en fait un tourbillon soumis au mouvement perpétuel, parfois un peu trop appuyé et artificel, mais soutenue par la belle énergie collective des officiants qui contribue au divertissement en entraînant le spectateur dans une ronde endiablée.
Si les chanteurs ne sont pas tous percutants au niveau du jeu théâtral, les comédiens manifestent tous la même aisance scénique et ne se privent pas de l'aubaine, Clément Hervieu-Léger leur lâchant la bride sur le cou, pour se laisser aller au plaisir du jeu et, surtout, se livrer à quelques numéros d'acteur.
Notamment Alaint Trétout, en barbon frétillant des bras tels des battements d'ailes d'une poule qu iva pondre son oeuf, Clémence Boué en paysanne gasconne avec son panier de poireaux qui finissent par voler dans la salle, Stéphane Facco travesti en bellissima ragazza (se substituant à la fausse épouse picarde) et Daniel San Pedro campant Sbrigani déguisé en inattendu toréador, là encore innovation comme pour les gendarmes remplacés par des miliciens gestapistes dans une scène dispensable.
Les fieffés tourtereaux sont bien campés par Guillaume Ravoire en zazou malfrat et Juliette Léger en donzelle prête à tout même à camper une gourgandine. Et, dans le rôle-titre, Gilles Privat s'avère époustouflant en naïf lunaire, saisi de vertige dans un monde cauchemardesque, qui finira dépouillé de tout, de son identité et de son amour propre, délesté de de son argent et même de ses vêtements, par de bien vilaines gens.
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