Exporter une formule musicale déjà bien ancrée chez nos amis anglais pour tenter de la faire prendre sur les terres de l'hippodrome de Longchamp tenait de la gageure, pour ne pas dire de la roulette russe. Les balbutiements initiaux, les cafouillages inauguraux, les traces de susceptibilités perceptibles notamment sur les réseaux sociaux, attestaient il y a quelques semaines de ces premiers pas incertains et nerveux. Heureusement pour Live Nation, l'organisateur principal du Download, le bilan se révèle fort positif, comme on va le voir...
Comme toute première édition, le premier jour prend des allures de rite initiatique. L'arrivée complexe sur le site, le retard de l'ouverture des portes au public, les queues infinies pour accéder ou aux billets ou aux bracelets "cashless", prépayés ou non, attestent des défauts habituels d'une première fois : la désorganisation est à son comble, et ça râle de tous les côtés... Mais le beau temps est au rendez-vous, les stands sont prêts à recevoir le chaland assoiffé, les groupes n'ont pas de retard, et le site est facile et simple à arpenter. Ainsi, la première impression est loin d'être négative d'autant que l'espace presse, le VIP et autres joyeusetés pour "happy few" prouvent que les organisateurs ont tout pensé pour accueillir comme il se doit les huiles de tous bords et particulièrement l'instinct grégaire des photographes accrédités dont je suis.
Arrivée sur site avec encombres et opérationnelle vers 17h, tout commence pour moi avec Avatar. Outre l'indéniable qualité scénique des Suédois, force est de constater que leur ramage se rapporte à leur grimage. Car si l'ambiance vestimentaire est au clownesque, le set n'a rien d'un cirque musical, bien au contraire. Johannes Eckerström, leader loyal du groupe, sait tenir la foule à bout de bras et de canne à pommeau et multiple les postures à héler, propres à subjuguer un public que Gojira avait, précédemment, fait entrer sans ménagement dans la danse musicale de ces trois jours. Outre le spectacle offert, la prestation d'Avatar choisit l'entrée plutôt mélodique de leur répertoire, façon de combler les aficionados et de rassurer les velléitaires.
Programmer Deftones à 18h, c'est l'assurance de ne pas avoir que des t-shirts d'Iron Maiden dans le public. C'est aussi le plaisir de revoir un groupe en pleine forme – depuis notre dernière fois, en 2013 – et un Chino Moreno égal à lui-même, tout cela en dépit des péripéties que l'on sait : la set-list est variée, et joue du tube autant que du brand new, rappelle autant nos premiers émois adolescents que le dernier album aux avis mitigés. Un merveilleux moment.
Puisque la programmation est à la nostalgie, Anthrax prend à 19h les manettes de la deuxième scène, sans aucune once de vieillerie, puisque les cheveux n'ont pas blanchi et que "You gotta believe" comme "Antisocial" sonnent juste. L'énergie prodiguée n'a rien à envier aux jeunes métalleux, et les Américains connaissent assez les scènes de cette envergure pour se comporter comme des héros. Un set exemplaire, pour un groupe encore insolent qui sait maintenir toute la noblesse du trash metal, notamment grâce à Joey Belladonna et Scott Ian à la complicité explicite.
Le grand messie de la soirée, sans hésitation aucune, était bien entendu Iron Maiden. Devant la mainstage, entre chien et loup, se massent les fanatiques de la première heure. Entre en scène Bruce Dickinson, plus fringant que jamais, personnage principal et charismatique d'un décor aussi majestueux qu'irréel. Si les classiques sont au rendez-vous (comme "The Troopper", "Number of the Beast"), au grand ravissement du public, Bruce Dickinson ne s'en contente pas et dialogue avec son public sur un ton engagé et prophétique, en français s'il vous plaît, à propos des empires et de leur chute. Si certains semblent étonnés de ces temps sans musique accordés à la parole et à la conviction personnelle, j'avoue avoir été positivement surprise de ce leader qui ne se contente pas de rabâcher son set connu par cœur. Évidemment, les briquets ne se lèvent plus : ce sont les smartphones qui désormais - et malheureusement - font leur office. Les mains levées captent les tubes millénaires aussi bien que les deniers morceaux de The Book of Souls… Et deux heures plus tard, rassasiés, direction le dernier concert de la soirée.
Ghost travaille autant le mythe que la dérision du mythe. Le costume et le metal, la pop et la posture. Le tout fonctionne, dans un grand éclat de lumière et de stupéfaction. Papa Emeritus, prêtre de la formation, arrive sans toge et la gorge prise. Annuler ? nous dit-il. Jamais pour un show en France. La mise en scène est rodée, et le doom parfait pour terminer la soirée en beauté.
Une belle surprise, donc, que cette première journée, dont la programmation a très bien réussi à gérer la montée en puissance des groupes et des styles. Si je m'étais étonnée au départ de la running order, je me rends compte à présent de sa pertinence : pour la première fois depuis bien des années, il ne m'a pas été nécessaire de courir entre deux scènes, et plus encore, j'ai réussi à profiter, dans leur intégralité, de 3 concerts sans avoir à sacrifier quoi que ce soit... Parfait !
Je m'étonnerai toujours de la façon dont l'humain prend rapidement ses marques et ses habitudes sur un site de festival. La deuxième journée commence sous un ciel chargé, mais sec, et avec quelques appréhensions – malheureusement légitimes – concernant la programmation...
Si Saxon est un groupe mythique, il l'est en grande partie grâce à la présence scénique de Biff Byford qui ouvre le live avec un "Battering Ram" du plus bel effet. Même si le heavy version old school n'est pas nécessairement ma tasse de thé, j'avoue avoir apprécié le superbe monstre sacré qui m'est donné à voir et à entendre – appréciant, particulièrement, les jeux du leader avec son excellent guitariste Paul Quinn, et le t-shirt estampillé d'un "Liberté - Égalité - Fraternité" en version gothique, en hommage à son festival d'accueil. Un set génial, car inattendu pour moi.
Malheureusement, il faut ensuite oublier ce qui se passe jusqu'à... 19h. Ce n'est pas parce Baby Metal refuse toutes photos qu'il ne faut pas jeter un coup d’œil au phénomène. Et là, c'est le drame : la foule troque rapidement sa curiosité pour du dégoût, et migre vers la stage 2, les oreilles sifflent devant l'aigu, le regard se détourne pour ne pas soupirer de lassitude et d'agacement devant ce produit musical intolérable à tous points de vue...
Et One Ok Rock, pardonnez-moi, ne fait pas vraiment mieux même si les groupies françaises sont en transe hystérique quand débarque le minet-leader Takahiro Morita. On ne pourra pas leur reprocher d'avoir "un style", ni de dépenser sans compter leur énergie sur scène : mais le mélodique fraie trop avec la pop facile, et le rock n'est plus qu'une gangue qui me semble bien vide – le wall of death final devrait peut-être me détromper. Je sais que certains accrochent, mais pour un premier contact avec ce groupe, je déclare forfait et tenterai de réécouter le tout une prochaine fois...
Heureusement, Amon Amarth me réconciliera avec la programmation de ce samedi. Entre les dragons fumants et crachants, le viking géant recouvrant le fond de scène comme un vintage et effrayant marcheur blanc, et le merveilleux Johan Hegg, prototype parfait du héros tout droit sorti d'une rustre légende nordique, mon cœur bat la chamade, au rythme gras de ce death metal rutilant, brut, puissant, que rien ne semble pouvoir retenir. Mon live number one du week-end.
De fait, Simon Neil, leader de Biffy Clyro, que j'avais adoré aux Eurockéennes il y a quelques années, passe juste après pour un petit gringalet presque discret. Ainsi le scénique écossais semble-t-il bien épuré en regard de celui des Suédois, mais la setlist tient la route, mettant l'accent sur le versant rock et gras de la discographie du groupe, de "Wolves of winter" à "Stingin'Belle"... Un excellent moment.
Mais une déception pointe encore le bout de son nez : Jane's Addiction. J'attendais beaucoup ce groupe dont j'avais réécouté quelques titres célèbres avant de venir. Mais sur scène, le tout est assez froid, en dépit de l'arrivée classieuse de Perry Farrell une bouteille de rouge à la main, et de l'érotisme surjoué de quelques donzelles fort peu habillées et visiblement pleines de zèle pour l'homme au costume mordoré. J'ai pourtant assisté à l'ensemble du set (joie de la running order, encore, je ne cesserai de le répéter), mais rien a pris...
Ah Korn. Mes petites désillusions de la journée ne viennent-elles pas de la seule impatience de voir LE groupe qui a forgé mes goûts musicaux il y a fort longtemps ? Peut-être. Tout va : du son à la setlist ("Right now", "Y'all want a single", une reprise des Floyd, "Another brick in the wall", "Freak on a leash" pour finir), du micro à la beauté alien (corps de femme par le démiurge éclairé Hans Ruedi Giger) à l'énergie surprenante de Jonathan Davis. On quitte la fosse, on se pose sur la plateforme VIP, on profite à fond, savourant avec délice cette opportunité merveilleuse de pouvoir voir en vrai des idoles qui, en cet unique moment, n'ont rien de mortelles.
A l'issue de ces deux jours, le bilan est donc extrêmement positif. Le public est hyper convivial, varié, sympathique, en somme, à tel point parfait qu'on s'y est mêlé avec plaisir durant quelques concerts pour ne pas trop traîner dans les périphéries huppées que tous les festivals bichonnent. Les sets ont été, pour la plupart, exceptionnels, rattrapant sans hésiter les quelques cafouillages d'organisation du premier jour, et donnant un avant-goût d'une partie de la programmation du Hellfest sans chercher – bienheureuse idée – à reproduire quoi que ce soit de ce géant intouchable pour les fans, mais en restant fidèle à la formule anglaise.
Je remercie, pour finir, Myriam Astruc qui a accrédité, sans le savoir, une petite troupe sympathique de photographes humainement rares qu'il me plut de voir et revoir... En espérant, dès aujourd'hui, que cette édition sera la première d'une longue série ! |