Jour 2 - Eu-ROCK-éennes
On ne connaît pas tous les groupes qui passent aujourd'hui, et c'est tant mieux. Ça aiguise notre curiosité et notre attention, ça nous virginise, ça nous galvanise, bref, on est prêt à tout entendre ou presque.
On commence bien comme il faut avec Yak, qui ouvre avec un morceau de toute beauté, qui nous fait rentrer tête baissée dans une journée pure rock. Déjà vu et entendu au festival Europavox quelques semaines plus tôt, Yak, ce sont trois jeunes petits Anglais qui ne payent pas de mine (bon, ils ont quand même un peu la tête de l'emploi, avouons-le), mais qui claquent tout sur scène. Alas salvation, leur dernier album, est un petit bijou garage et "indie" saturé de partout qui rappelle nos plus belles (et rebelles) années.
Du coup, enchaîner avec Last train est de l'ordre du pain béni. Même ambiance bien rock, même envie de tout donner, même puissance de frappe auditive : ah, certes, il reste toujours des contempteurs plus ou moins aigris de ce groupe dont la postérité éclair a de quoi surprendre ou plaire. En tous les cas, la relation au public est toujours aussi humaine et sans pose, ce qui est rare. Bref, mon discours ne variera pas : je les avais adorés dès leur concert à Bourges en 2015 sur la scène du 22, je reste tout à fait enchantée de les revoir aux Eurocks.
Puisque nous sommes en mode cuir noir, garage et gros son, Elle King se pose là, comme une nymphette pulpeuse pas fâchée avec la rillette, cheveux au vent et bière à la main, prête à discuter avec humour avec son public. La voix est rauque, la country-pop acérée, et la Greenroom prend des allures de rade de routiers. On hurle en chantant (ou on chante en hurlant) quand vient, en final, "Ex's and Oh's" et on repart à la Plage, où décidément se passe une belle partie de notre festival.
The Inspector Cluzo : rien n'effraie ces gascons dignes d'une scène épique, teintée d'héroï-comique, venue tout droit d'une pièce d'Edmond Rostand. Leur recette musicale, faite de gros son et de convictions, est excellente : pas besoin, sur la Plage, de douter de leur talent ni de leur engagement - "Ce concert est un concert live. Il est joué à quatre mains. Il n'y a pas de putain... d'ordinateur... de merde !" Sur fond de rock fusion bien bien gras, mais dans un set bien bien court, les messages s'accumulent (rapport à la terre, aux anciens, aux technologies, à la politique, au rock anglais, à l'électro "pourrie de Paris"). De ce concert engagé, on retire le meilleur, mais à écouter le public, on n'est pas sûr, malheureusement, que le discours fasse mouche – les mots du guitariste-mousquetaire, surtout quand ils sont en gascon, n'atteignent pas toujours le bon sens du festivalier-consommateur de son.
Du coup, la faille spatio-temporelle avec la musique d'Allah-Las a tout d'une claque inattendue (mais très appréciée), puisqu'on se retrouve catapulté dans les vapeurs lascives d'une folk lancinante et soigneusement psychédélique : c'est beau comme un polaroïd retrouvé au fond d'une boîte à chaussures, et ça permet de découvrir Innovative Leisure, le label de monsieur Nick Waterhouse, qui a produit les deux petites pépites du groupe, Allah-Las (2012) et Worship the Sun (2014).
Depuis 1994 et Loser, qu'est devenu Beck ? Beaucoup de choses, en terme musical, qui, avec le recul, n'ont pas été particulièrement médiatisées – il n'est pas impossible non plus que j'ai manqué d'attention... Dès "Devil's Haircut", premier morceau, on comprend que l'ensemble sera très propre, mais plutôt statique, si bien qu'on ne sait pas vraiment si on aime ou pas, même si les tubes et les genres s'enchaînent, jusqu'à ce qu'arrive une merveilleuse reprise de Michael Jackson, "Billie Jean", qui remet nos pendules à l'heure et nous rappelle que le monsieur devant nous, dans son costard à rayures, est un mythe musical à bien des égards.
On n'avait pas prévu d'aller voir Lou Doillon, mais les aléas de l'ordre alphabétique (ainsi ont malheureusement été choisis les photographes présents dans la fosse) m'incitent à y aller. Atmosphère intimiste, petit dialogue entre amis, lumières tamisées et virevoltantes font de ce moment une sorte de concert-boudoir vaporeux – puisque Lou Doillon a précisé qu'il fallait se "rouler des pelles" pour donner plaisir et amour à ce moment - aussi intéressant que convaincant. Du coup, Lay Low, contre toute attente, est venu s'ajouter à la liste des albums-réveils du dimanche matin... Un moment très honnête et très simple, à l'image de Lou Doillon, déambulant naturellement aux Eurockéennes, ainsi faisait-elle il y a trois ans, tout en chapeau et en sourire.
Pour avoir vu Louise Attaque au festival Europavox il y a quelques semaines, nos impressions restent les mêmes : une envie de fédérer, en reprenant des morceaux devenus hymnes d'une génération ("Ton invitation", notamment, qui ouvre le set), une envie de continuer, en proposant des titres plus récents, mais toujours convaincants. Comme la veille pour Les Insus, on comprend bien que la majorité du public est venu pour Gaëtan Roussel et ses compagnons : foule compacte, chantante, heureuse, vague humaine égrenant "Je t'emmène au vent" et lui faisant oublier ses vingt ans.
Notre passage sur la plage, histoire de prendre la température de l'Air n'est pas très concluant. Le public, que je trouve toujours un peu clairsemé, ne présente que ponctuellement des traces de réel engouement et même "Sexy Boy" manque d'un petit quelque chose. Il n'est pas impossible que l'on commence à fatiguer et que nos chakras ne soient pas assez ouverts pour s'élever vers cette atmosphère nuageuse et cosmique. Tant pis.
On connaissait Foals de réputation, sans vraiment avoir fait l'épreuve du live. On en ressortira épuisée, comblée, ébahie, devant tant d'ardeur et d'abnégation musicale. La descente de Yanis Phillipakis dans la fosse et dans le public, son rapport au public, à ses musiciens, la générosité de son set et de son discours, clôturera donc une journée merveilleuse, sous le signe de la bonne musique et du don de soi.
Sans hésiter, pour ceux qui hésitaient, la pure journée "rock" du jour, sous toutes ses déclinaisons, et dans sa plus belle acception.
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