La misère et les rêves
Dublin. Le jeune Jimmy Rabitte s’est mis dans la tête de fonder un groupe de soul et d’en devenir le manager. Il rassemble ses connaissances et passe une annonce dans le journal afin de dénicher un chanteur. Après bien des auditions, le groupe est formé et prêt à répéter. Mais l’égo un peu trop prononcé du chanteur commence à exaspérer tout le monde.
Depuis "Shoot the moon" en 82, Alan Parker n’avait plus réalisé de film se déroulant de nos jours. Il préféra en découdre avec la guerre du Viet-Nam (Birdy), le passé troublé par les démons ("Angel heart"), le racisme dans le Sud des années 60 ("Mississippi burning"), ou érigé en raison d’état pendant la 2èmè guerre mondiale ("Bienvenue au paradis"). Cette dernière diatribe avait d’ailleurs étonné par son manque de virulence et l’on s’est plu à évoquer l’assagissement précoce de l’anglais, le succès aidant.
Avec "Les commitments", il effectue un retour aux sources aussi surprenant qu’inattendu. Il plante sa caméra à Dublin, ville chaude s’il en est, sœur ennemie de l’Angleterre et choisi de rendre un hommage vibrant à la soul music, aidé de commédiens non-professionnels.
Une prise totale de risque pour une dénonciation de la misère semble-t-il inéluctable, comme faisant partie du décor du bas peuple irlandais. A cette misère, Parker oppose le rêve d’une poignée de jeunes gens : chanter, s’exprimer à travers la musique élaborée par un autre peuple opprimé dans un autre pays. Mais pas question de s’en servir comme d’un alibi, de faire miroiter une porte de sortie puis de la claquer au nez de ses personnages.
Parker, mine de rien, nous interpelle sur les conditions de vie de l’Irlandais pauvre et rappelle le message de la soul music. A l’époque où celle-ci est trop dénaturée par le rap, une mise au point s’imposait en effet. "L’Irlande est le pays noir du Royaume Uni, Dublin la ville noire de l’Irlande et nous les pauvres sommes les noirs de Dublin ! Nous pouvons donc faire notre soul music ". C’est en ces termes que Jimmy s’adresse à ses amis lorsque ceux-ci lui demandent si ce choix est le bon.
La lente immersion dans l’état d’esprit soul peut alors démarrer, sans amertume, joyeuse comme un gospel et de rendre hommage à James Brown ou autre Wilson Picket. Le temps n’est pas à l’atermoiement mais à la joie de chanter sa misère pour l’atténuer et la repousser pour mieux la dominer. Grâce à l’impétuosité de ces acteurs en herbe, tout semble alors évident, chanter semble être la solution et la relecture des grands standards du genre prend des allures de plaidoyer contre l’enfermement et l’inaction de l’esprit.
La force qui se dégage de ces vies en mouvement est sans artifice et puissamment rassurante. Grâce à la jeunesse de cœur d’un infatiguable rebelle, d’un conteur d’histoires vraies, le rêve prend forme, se développe et meurt de la plus belle des morts : l’utopie. Cette mort là est réservée à ceux qui ont de la voix et refusent de se taire, obstinément, à cause de la misère et de tout ce qui pourrait arrêter la musique et les états d’âme.
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