"I love to fly. It’s just, you’re alone with peace and quiet, nothing around you but clear, blue sky. No one to hassle you. No one to tell you where to go or what to do. The only bad part about flying is having to come back down to the fucking world."

Seize ans, putain seize ans. Il aura donc fallu attendre seize ans pour que le collectif Australien nous livre un successeur au génial Since I Left You, véritable chef d’œuvre qui aurait du faire de The Avalanches l’un des groupes les plus importants au monde, orgie musicale inclassable, fait de collages gargantuesques, Léviathan de styles et de formes dont faire le tour semble définitivement impossible.

Et seize ans c’est long. Il s’en passe des choses musicalement. Les modes passent, les précurseurs disparaissent parfois au profit des suiveurs. Le sampling et le Mash up sont devenus monnaie courante et accessible techniquement au plus grand nombre. Les australiens n’étaient plus qu’une sorte de légende urbaine, et les belles promesses évaporées.

Alors pourquoi revenir ? Pour l’argent ? La beauté du geste ? Comment donner une suite à un disque devenu incontestablement iconique, et surtout quelle substance lui donner tout en évitant la redite ? Alors ? Est-ce que ce Wildflower groove ? C’est un euphémisme. Est-ce que ce Wildflower est explosif ? C’est un euphémisme. Est-ce que ce Wildflower est jouissif ? C’est un euphémisme. Est-ce que ce Wildflower est créatif ? Oui, oui et oui ! The Avalanches ne répond pas aux attentes, ils les dépassent, les brisent même.

D’abord, nous sommes frappés par la maîtrise du son et des compositions. Since I Left You était peut-être un peu plus bordélique, la confusion faisait partie intégrante du jeu. Il faut absolument saluer ce talent dans l’écriture. Pas simplement dans l’agencement des mélodies, qui est toujours autant labyrinthique, mais dans le montage, dans ce qui se cache derrière, superposition mélodique, rythmique, de style, jeux de tension / détente que l’on retrouve par exemple dans "Kaleidoscopic Lovers", "Stepkids", "Saturday Night Inside Out", "Subways", "Colours", "The Noisy Eater", "Harmony", "Frankie Sinatra". Il y a quelque chose d’éminemment psychédélique (le titre "Wildflower" en serait une réelle allusion) dans la forme (le travail sur les formes justement, le travail sur le son, sur les mélodies, les bases rythmiques).

Nous sommes frappés aussi par l’hédonisme, la joie de vivre, les couleurs qui se dégagent de ce disque. C’est foisonnant, il se passe 10.000 choses par minute, il y a un enchevêtrement incroyable de musique, mais tout cela sans être roboratif. C’est absolument ambitieux et d’une extrême efficacité. C’est moins novateur que Since I Left You mais on s’en moque un peu. Il ne sert à rien de partir à la recherche des morceaux originaux et de faire des comparaisons, ce qui est l’exact opposé de la démarche proposée ici, mais bien d’écouter ces titres comme des morceaux totalement neufs, et de se régaler de l’agencement rythmique et harmonique et des nombreuses voix qui interviennent en featuring en remplacement des originales. On retrouve en effet, excusez du peu : Danny Brown et MF Doom, Father John Misty, Warren Ellis (Nick Cave & the Bad Seeds, Grinderman), Chazwick Bradley Bundick (Toro y Moi), Jonathan Donahue (Mercury Rev, The Flaming Lips), Kevin Parker (Tame Impala), Ariel Pink et Jennifer Herrema (Royal Trux), Biz Markie.

The Avalanches marie avec brio et intelligence, rythmes et mélodies (polyrythmie et polymélodie), funk-pop-jazz-rock-psychédélisme (liste absolument non exhaustive…), morceaux classiques et modernité. En bâtissant leurs chansons sur des musiques (plus ou moins) populaires, ils confient leur ambition, leur foi en une musique réaliste, reflet du monde musicale qui les entoure. Un exemple récent qui vient à l'esprit d'un groupe qui ait sorti un album classique, pierre angulaire d’un nouveau genre pour ensuite laisser place au silence pendant une longue période est My Bloody Valentine, qui a attendu 22 ans pour livrer une suite à Loveless sorti en 1991 avec l’excellent My Bloody Valentine.

Cela rappelle également, mais dans un autre contexte Terrence Malick et la sortie de son superbe, et également d’une densité incroyable, film : The Thin Red Line (La ligne rouge) sorti en 1998. Il avait fallu attendre vingt ans pour que le réalisateur donne une suite à Days of heaven (Les Moissons du ciel) et sorte cette fresque sublime au casting incroyable. De nombreux acteurs se sont battus pour apparaître aux génériques et certains ont vu leur rôle fondre comme neige au soleil au montage, voire tout simplement disparaître. C’est également le cas ici. Ont disparu : Connan Mockasin, Jens Lekman, Luke Steele (The Sleepy Jackson, Empire Of The Sun) ou August Darnell (Kid Creole and the coconuts) ! Des heures, des mois, des années d’écoutes plaisir en perspective donc, et de quoi rêver, danser, s’émerveiller…

"Ah Frankie Sinatra, ah Frank Sinatra / Frankie me boy don’t know / You have the perfect voice to sing calypso (what did they say ?)…"