Monologue dramatique écrit par Valérie Mréjen, et interprété par Bénédicte Cerutti dans une mise en scène de Julien Fišera.
Un père parle à sa fille. Ce père est joué par une femme et il lui parle d'une "boîte lumineuse" où il est installé. Le fond de ce carré assez rassurant, dont le sol semble être fait de sable blanc, est d'abord l'objet de jolies variations de couleurs, puis c'est l'ombre - ou l'hologramme - du personnage qui se déforme ou se multiplie. Quand il s'assiera, il y aura derrière lui, une forme assise, comme en lévitation au-dessus de lui. C'est dans ce dispositif, dans cet écrin plus précisément, que Bénédicte Cerutti parle, habillée en blanc, enceinte sans qu'on sache jamais si elle l'est vraiment, ou si c'est le père qui le serait métaphoriquement.
Sa parole est un flux de mots de tous les jours, ceux que Léo Ferré dans "Avec le temps" avait qualifié de "mots des pauvres gens". Pourtant, cette simplicité ne débouche sur aucune vraie indication sociale. L'actrice l'interprète sans qu'on puisse le tirer vers une caricature, sans non plus lui donner un caractère bien trempée. Elle paraît parfois se dédoubler comme s'il y avait plusieurs personnages qui pouvaient sortir de sa gorge. Quel que soit l'effet escompté, la conséquence immédiate est qu'elle ne donne ni l'impression de réciter ni d'être l'héroïne d'un monologue. Elle est là, un point c'est tout. Les effets visuels signalés, étonnamment, ne compliquent pas ce qui pourrait être ressenti comme très maniéré. Au contraire, leur délicatesse poétique, leur côté bizarrement apaisant sont comme la preuve que le texte de Valérie Mréjen n'est pas une construction "intellectuelle", un exercice de style excluant ceux qui ne savent pas décrypter la forme théâtrale. Car cette adaptation de son roman "Eau Sauvage" par Julien Fisera ne vise que l'évidence et ne cherche qu'à convaincre qu'elle a écrit une œuvre d'une grande simplicité qui convenait bien à un montage théâtral.
L'heure jamais ennuyeuse passée en compagnie de Bénédicte Cerutti, qu'on avait vu à son avantage dans "Aglavaine et Sélysette" de Maurice Maeterlinck, mise en scène à la Colline par Célie Pauthe, respire la sérénité. La comédienne porte les mots de Valérie Mréjen sans trahir leur origine littéraire. On a souvent l'impression qu'elle improvise dans cette conversation avec une jeune fille aimée mais hors champ. Si elle paraît déboussolée par celle qui doit être une ado dans toute sa splendeur, donc assez imperméable aux discours, et a fortiori à celui d'un père, elle n'en fait cependant pas un drame. Dans "Eau sauvage", tout paraît léger et fugace. Cette bulle bavarde n'éclate jamais et on pourrait même imaginer qu'une fois achevée de dire le texte de Valérie Mréjen, Bénédicte Cerutti se remette dans la foulée à le rejouer... De toute façon, on n'y coupera pas : une fois "Eau sauvage" achevé on n'aura qu'une envie, celle de se précipiter pour acheter ou emprunter le livre paru chez Allia. A priori, cette démarche ne décevra pas ceux qui la tenteront. |