Parfois, quand je me balade dans Paris, je pense aux personnages de films ou de romans qui ont emprunté un jour ces mêmes rues, ces mêmes cafés, attrapés un taxi ici ou une balle perdue là. C'est surtout vrai avec des personnages récurents dont on a pu suivre des années durant les aventures, les Maigret, les Burma.
C'est vrai aussi avec les personnages des romans de Dominique Sylvain. Tout du moins jusqu'à l'an dernier. En effet, Dominique Sylvain a choisi avec L'archange du chaos de rompre avec les séries. Cela se confirme avec ce Kabukicho qui sort en ce mois d'octobre 2016.
Pourtant, on aimait retrouver Lola, Ingrid, Louise, le bistrot des habitués avec le plat du jour que l'on rêve de déguster pour de vrai, le psy, son chien, le passage du désir... Tous ces gens, ces lieux tellement vivants à travers les mots de leur créatrice que l'on se surprend à vouloir les retrouver au coin de la rue.
Bref, en attendant peut-être un jour de recroiser Lola Jost en train d'acheter un nouveau puzzle, on se retrouve donc avec un nouveau roman qui se déroule, comme c'était le cas pour "Baka !", son premier ouvrage, au Japon. Faisons fi de l'histoire, la quatrième de couverture vous éclairera déjà sufisamment sur l'intrigue qui vous attend. Raconter l'intrigue d'un polar c'est à mon goût déjà trop en dire, mais sachez qu'il y aura au moins un crime.
Revenons plutôt sur le Japon que Sylvain connaît bien pour y avoir vécu 10 ans. Ainsi nous pourrons profiter d'une description pour une fois assez réaliste des lieux. C'est à dire finalement de façon manifestement plus ouverte et moins chatoyante que ce que l'on peut en voir "à la TV". Exit les clichés manga / cosplay, bonjour les quartiers glauques et les salary men en manque d'amour. Bye bye les salles de jeux vidéos à n'en plus finir et les bars à chats, bonjour les bordels clandestins et les yakuza en col blanc.
Bien entendu on reste dans le polar, mais on perd l'humour de Lola et l'audace de Louise là où l'on gagne en dépaysement en terme de lieu et de personnages. Kabukicho est donc un thriller mais néanmoins un peu moins angoissant que L'archange du chaos qui nous emmenait dans un monde vraiment glauque au coeur d'une enquête trépidente et stressante avec des personnages qui, eux aussi, pourraient facilement être récurrents tant ils avaient chacun des choses à dévoiler encore. Qui n'aurait pas envie de retrouver Franka et son frère ?
Ici, même si le récit de Kabukicho est partagé entre trois protagonistes, on sent que Sylvain fait en sorte de donner juste assez de profondeur aux personnages pour servir l'histoire et il paraît cette fois-ci très improbable qu'on les retrouve plus tard, même si toutes les portes ne sont pas fermées.
Qu'à cela ne tienne, Sylvain maîtrise parfaitement son récit et nous balade plus qu'on ne l'aurait voulu car elle nous guide habilement vers le coupable, nous donnant le sentiment de mener nous-mêmes l'enquête et l'on suit l'évolution du meurtrier tout au long du livre plutôt que de subir le récit en ne pouvant formuler que des hypothèses jusqu'au dénouement final.
Sylvain prend ici un virage, déjà amorcé sur son précédent ouvrage donc. Des récits plus nerveux, moins de trivialité dans les descriptions, moins d'humour chez ses personnages et une trame de fond bien ancrée dans le réel (mais c'était déjà le cas dans certains de ses romans comme Guerre Sale notamment).
Un livre peut-être moins halletant que L'archange du chaos, un peu moins violent aussi (encore que certaines images, pour peu que vous visualisiez certaines scènes à travers les mots de Sylvain lors de la visite au bordel "underground" notamment, peuvent être assez noires), mais une immersion en douceur dans le Japon de tous les jours, ses différences culturelles et ses traditions et une enquête qui, comme toujours, sert de trame de fond à une mise en exergue des sentiments et des rapports humains dans tous leurs travers. Pour le meilleur et pour le pire pourrait-on dire.
En 20 ans de carrière dans le milieu du polar, la trop discrète Dominique Sylvain fidèle à sa maison d'édition Viviane Hamy pose une nouvelle pierre à son édifice et n'hésite pas à sortir de sa zone de confort et oublier ses personnages si attachants pour bousculer un peu nos habitudes. Et il faut le reconnaître, la frustration de devoir découvrir de nouveaux personnages passée, çela fonctionne plutôt bien. Elle se pose en patronne du polar chez Hamy désormais et c'est une très bonne nouvelle. |