Intrigant que ce Calme et tranquille qualifié de "fulgurant de bout en bout" par Virginie Despentes herself, petit livre de 200 pages écrit par Valérie Manteau, auteure ayant travaillée pour Charlie Hebdo de 2008 à 2013 nous décrivant, dans son premier livre, entre réalité et fiction, la vie d’une jeune femme endeuillée par la mort de ses proches. Bon, déjà, ça commence par un extrait des "Ecorchés" de Noir Désir, c’est plutôt bon signe, la jeune femme a du goût. Et puis, "écorché", c’est sûrement le terme qui lui convient le plus…
Dans son livre, l’auteure entrecroise son histoire familiale, les fêlures dont elle a pu hériter de sa famille, de sa grand-mère mais aussi l’assassinat des membres de la rédaction de Charlie Hebdo. Elle parle de proches disparus, de suicide (sa grand-mère), d’amour, d’amants, de chevauchées stambouliotes passionnées et de mort. Cette mort revient tout le temps, celle de sa grand-mère, totalement imprévue, celle de son chat et celle vécue personnellement concernant Charlie Hebdo (pas prévu non plus) puisqu’elle y a travaillée pendant 5 ans.
Ce livre est ainsi l’occasion de nous raconter tout un tas d’anecdotes (parfois très drôles) la concernant, aux côtés de ses amis décédés de Charlie Hebdo mais aussi des survivants (l’urgentiste Patrick Pelloux, Riss le bougon et Luz). On y remarque son affectation particulière pour Charb son chouchou, son attachement à Cabu lorsqu’elle nous raconte l’enterrement de son fils Mano Solo mais aussi au travers de son péché mignon, les brioches sucrées qu’il cachait scrupuleusement dans son sac pendant les conférences de rédaction. Elle a la décence de n’oublier personne, Wolinski l’apôtre du je-m’en-foutisme qui faisait rire toute la rédaction, Tignous qui se marre tous le temps, Franck le garde du corps, Elsa Cayat la psy, Honoré, Mustapha le correcteur, Bernard Maris sans oublier les victimes hors Charlie (qui sont nombreuses). Une grande émotion se dégage à chaque fois qu’elle parle de ses anciens amis. Et puis il y a cette couverture de Luz, "Tout est pardonné", dont tout le monde se souvient encore, placardée partout dans Paris par les kiosquiers. Son envie de la déchirer puisqu’elle la déchire. A force de la regarder et de s’y habituer, elle s’y accroche comme à un rayon de paix, d’espièglerie et d’enfance.
Des questions se bousculent dans sa tête. Comment peut-on réussir à vivre après le suicide de sa grand-mère, l’assassinat ignoble de ses potes ? Comment peut-on surmonter tout ça ? En se bourrant la gueule, en avalant une tonne de médicaments, en partant fuir à Istanbul, en se jetant par la fenêtre ? Valérie Manteau passe par tous ces états… Elle se sent coupable. Mais de quoi ?
Heureusement, tout n’est pas triste dans son livre, il y a aussi des passages improbables, très drôles comme quand elle se rend voir une énergéticienne, oui oui, une énergéticienne, de celles dont la thérapie repose sur une longue séance de palabres, d’une conversation avec ses ovaires et d’un massage sans contact… Un vrai bonheur à lire.
Alors voilà ! Que dire de plus sur ce court livre, peut-être trop court même. Qu’il est d’une beauté et d’une émotion intense ? C’est une évidence après avoir refermé le livre. Quand certains traduisent leurs sentiments d’impuissance, leurs émotions et leur désarroi dans le silence ou la psychanalyse, d’autres comme Valérie Manteau se réfugie dans l’écriture. Dans un livre puissant construit autour de courts chapitres, l’auteure s’appuie sur une écriture magnifique, sensible et délicate pour exprimer l’indicible et apaiser son profond chagrin et sa douleur.
"Passe-moi par-dessus tous les bords
Encore un effort
On verra de nouveau
Calmes et tranquilles
Calmes et tranquilles"
Noir Désir, "Les Ecorchés"
Jamais la musique de Noir Désir n’a autant résonné dans ma tête en lisant un livre… Merci Madame Manteau.
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