Situé dans le
15ème arrondissement parisien hors du quartier d'or des grandes institutions muséales, le Musée Mendjisky propose une exposition dont l'intitulé "Les Insoumis de l'Art moderne" pourrait laisser accroire à l'accrochage d'une production erratique de petits maîtres académiques.
Or, elle traite du mouvement de la Jeune Peinture, avatar de l'Ecole de Paris, initié par les jeunes peintres qui, à la fin de la Seconde guerre mondiale, travaillaient au sein de la fameuse cité d'artistes la Ruche et déclinèrent un expressionnisme à la française en rupture radicale avec les avant-gardes établies.
Pendant la décennie des années 1950, la Jeune Peinture connait le soutien du monde de l'art et l'engouement général, du public aux institutions muséales. Avec l'émergence du Nouveau Réalisme et de la Figuration narrative et, surtout, la prééminence de l'Ecole de New York, non seulement elle a été considérée comme un épiphénomène mais a sombré dans un oubli pérenne contre lequel militent les collectionneurs et marchands d'art Florence Condamine et Pierre Basset qui assurent le commissariat de cette exposition.
La Jeune Peinture : la Figuration réinventée
Sur les quatre niveaux du musée sis dans un immeuble conçu par l'architecte Robert Mallet-Stevens, la monstration regroupe une soixantaine d'oeuvres de dix-neuf peintres dont celles des huit fondateurs du mouvement - Bernard Buffet, Simone Dat, Michel de Gallard, Bernard Lorjou, André Minaux, Yvonne Mottet, Paul Rebeyrolle et Michel Thompson - signataires du "Manifeste de l'Homme Témoin"
qui en pose les fondamentaux.
Ce manifeste a fédéré, sans gommer leur individualité, un millier d'artistes qui refusent l'allégeance tant à l'abstraction, au cubisme et au symbolisme qu'au réalisme socialiste pour privilégier une peinture figurative, humaniste et incarnée inscrite dans la filiation de la grande peinture pratiquée par les Maîtres.
Ce qui doit s'entendre notamment comme une peinture globale qui ne dissocie pas forme, couleur et lumière et la pratique d'une facture contemporaine, qui s'exprime par un naturalisme revisité avec une palette chromatique austère de la gamme des noirs et ocres, ordonnée autour de la réalité, du quotidien et de la nature comme source infinie de création.
Dès lors ces jeunes peintres ont oeuvré dans les genres du portraits et du paysage. Des portraits sensibles "au naturel", sans mise en scène, souvent féminins - femme mélancolique ("Le portrait de Claude" Cara-Costea retenu pour l'affiche de l'exposition), sensuelle ("Monique" Maurice Verdier), contemplative ("Femme au bord de l'eau" André Minaux) ou énigmatique ("Le mur rouge", "Jeune fille à l'orange" Françoise Adnet) - ou déclinés sur le thème classique de la baigneuse (les baigneuses de Yvonne Mottet et André Minaux, "Femme entrant dans l'eau" Pollet, "Suzanne et les vieillards" Heaulmé).
S'ils sont témoins de la vie des villes (Porte de Vanves" Michel de Gaillard, "Quai de Paris" Guerrier), la nature, considérée comme source infinie de création, est au coeur de paysages d'une France encore essentiellement rurale ("Paysage d'Eymoutiers" Paul Rebeyrolle) parfois hybridés avec la scène de genre ("Paysan au marché" Simone Dat).
La scène de genre excelle à l'approche de la vie quotidienne dans son ordinaire familier et sa banalité plébéienne ("Le café" Simone Dat, "Le bar-restaurant" Michel Thompson). "Le boucher" de Gaëtan de Rosnay et "La poissonnerie" de Bernard Buffet fusionnent avec le genre de prédilection de ce registre qu'est celui de la nature morte.
Dans l'héritage de la peinture flamande du 17ème siècle et de la peinture française du 18ème siècle, de Chardin à Oudry, la Jeune Peinture a largement pratiqué la nature morte, avec le double regard attaché à la première.
Toutes saisissantes, celles sélectionnées par les commissaires ressortent à la catégorie de la nature morte animalière représentée, hors de toute opulence flamande ou de raffinement rococo, dans sa prosaïque réalité.
Ainsi le visiteur croise-t-il poissons ("La raie" Guerrier, "Marée"
André Minaux, "Nature morte à la raie" Pollet), gibiers ("Les faisans" Jean Commère, "Nature morte à la tête de lapin" Roger Lersy), volailles ("La poule" Yvonne Mottet, "Les poules" Michel de Gallard, "Nature morte au poulet" Bernard Buffet) et bétail (de ce qui semble la mort douce de "L'agneau mort" André Rebeyrolle, à la "Tête de veau" sur stèle pavoisée au couleurs du drapeau tricolore et "La Pâquerette" au regard intense de Bernard Lorjou, qui se démarque avec sa palette de couleurs vives).
Mimésis et symbolique sont au rendez-vous comme dans les toiles d'intérieurs de cuisine, déclinaison des tables mises ("La Table de cuisine" et "Nature morte au bougeoir" Bellias, "La nappe blanche" et "La nappe à damiers blanc et jaune" Michel Thompson).
Une belle découverte que cet accrochage scandé par les sculptures cubistes de Serge Mendjinsky fondateur du lieu en hommage à son père, le peintre d'origine polonaise Maurice Mendjisky dont le visiteur pourra voir quelques oeuvres présentées dans le hall d'accueil ainsi, qu'en étage, la série exceptionnelle de ses dessins en "Hommage aux combattants du ghetto de Varsovie".
A noter que, concomitamment, Bernard Buffet, le "peintre-vedette" de ce mouvement, sort du purgatoire avec une rétrospective au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris et une exposition de ses oeuvres aux résonances montmartroises au Musée de Montmartre. |