Texte de Bernard Noël, adaptation et mise en scène de Charles Tordjman, interpérté par Elissa Alloula, Loulou Hanssen, Céline Carrère et Sophie Rodrigues.
Dans son propos initial, Bernard Noël voulait se contraindre au "nous" plutôt qu'au "je" ou au "tu" sans savoir ce que cela donnerait.
Ecrit deux ans avant la série d'attentats fondateurs de la France inquiète et sécuritaire d'aujourd'hui, "Monologue du nous" l'a conduit à écrire un texte dans lequel le terrorisme est central et moteur du récit. Il s'agit d'un terrorisme "abstrait", même s'il s'avère meurtrier, un terrorisme métaphysique sans transcendance divine, dans la lignée des mouvements des années 1970-1980, comme "Action Directe", la "Fraction Armée Rouge" allemande ou les "Brigades rouges" italiennes. Pour rendre l'atmosphère encore plus irrespirable, Charles Tordjman a adapté le texte de Bernard Noël avec un parti-pris fort : le "choeur" du nous est composé uniquement de quatre jeune femmes, voire de toutes jeunes filles. Quatre jeune femmes frêles, mais volontaires, vêtues sans apprêt, quasi de même taille, et qui récitent avec une ferme conviction la geste d'un "nous" qui commet des attentats, veut abattre l'État. C'est dans une structure en bois, définie comme une "nasse" par Charles Tordjman, mais qu'on pourrait considérer comme le ventre de la baleine de Jonas, ou comme la "matrice" féminine, que se déroule ce "Monologue du nous" dont on écoute l'écriture dans un vrai saisissement. On pourra en contester ou en refuser le propos, pas la qualité des mots employés ni la proposition théâtrale qu'en tire Charles Tordjman. Hors de la structure-sculpture conçu par Vincent Tordjman qui fait office de décor, il y a un piano mécanique qui ajoute une froide étrangeté à ce choeur aux accents sanglants, prônant la mort avec une détermination assumée et assurée pour tout ce que la société a d'impur. Cette certitude sectaire qu'il faut éradiquer le politique et l'économique peut s'interpréter comme le fantasme d'un poète toujours en colère. Bernard Noël a posé des mots qui tuent symboliquement, mais il ne prône pas la mort réelle, même si les quatre jeunes femmes choisies par Charles Tordjman ont la conviction d'anges assassins. Ce quatuor talentueux composé d'Elissa Alloula, Loulou Hanssen, Céline Carrère et Sophie Rodrigues transmet avec une inouïe douceur la violence de l'expression de Bernard Noël. Symptôme des temps présents qu'il a, en poète, anticipés, "Monologue du nous" est un texte qui trouve sa place sur une scène parce qu'il doit être entendu, perçu et, il faut l'espérer, compris, avant que le "je" revienne avec son cortège de réalités mesquines propices à cacher la voix courroucée du poète cherchant à réveiller ses semblables. |