Comédie dramatique de Lee Hall, mise en scène de Pierre Maillet, avec Cécile Bournay, Matthieu Cruciani, Pierre Maillet et Marie Payen.
Propulsant sans ménagement le spectacteur dans l'intimité domestique, existentielle et névrotique d'une famille borderline de la middle class d'outre-Manche; "La cuisine d'Elvis" du dramaturge anglais Lee Hall constitue, bien qu'écrit en 1999, un opus caractéristique des "kitchen-sink-dramas" des sixties.
En présence du père tétraplégique réduit à une vie végétative, le huis-clos hystérique entre la fille, adolescente en crise, boulimique et complexée, et la mère, anorexique, alcoolique et travaillée par la pré-ménopause, est exacerbé l'arrivée et l'installation du jeune amant de celle-ci, un beau gosse un peu bas du front..
Lee Hall dynamite cette situation conflictuelle explosive, abordée au premier degré de manière très prosaïque, par l'insertion d'une pincée de réalisme magique avec des intermèdes dans lesquels le père momentanément réssuscité s'adonne à sa passion, se prendre pour Elvis Presley qu'il imitait dans des shows de seconde zone.
Entre le naturalisme glauque, le réalisme social et la kitscherie watersienne qui semblent constituer le triangle dramaturgique adéquat, Pierre Maillet, comédien et metteur en scène co-fondateur du collectif d'acteurs le Théâtre des Lucioles, a choisi... une quatrième voie aussi judicieuse qu'efficace.
Et quasiment une quatrième dimension en optant pour le registre de la tragi-comédie paradoxale qui sied à la partition qui s'apparente à un conte pour adultes traitant de la pathétique condition humaine avec happy end à la clé que l'auteur lui-même qualifie d'épilogue insupportablement facile.
Cela dès le choix scénographique avec le décor anachronique conçu par Marc Lainé qui découpe l'espace scénique façon split-screen horizontal avec, à l'avant-scène, un bloc cuisine multi-fonctions hightec, et au-dessus, une plate-forme qui fait office de pièces de vie et de scène de concert.
Scène de concert pour Pierre Maillet qui incarne le père et rappelle la geste du King, costumes ad hoc et chansons retravaillées par le groupe indie pop français Coming Soon, avec décontraction et un bienvenu humour pince-sans-rire.
Ses trois comparses sont parfaitement irrésistibles dans la monstruosité déconcertante comme dans la détresse absolue. Matthieu Cruciani s'avère confondant de niaiserie lumineuse dans le rôle du tiers de passage qui n'est pas sans évoquer l'intrus métaphysique du "Théorème" de Pasolini.
Quant aux deux harpies saisies par la grâce, elles donnent lieu aux compositions saisissantes et mémorables de Marie Payen, la mère à la dérive, "folle de son corps" fagottée "cagole", aussi fragile que cruelle et désespérée, et de Cécile Bournay, la fille, jeune déjà vieille aux allures de poupée Chucky. |