Comédie dramatique d'après deux oeuvres de Sorj Chalandon, adaptation et mise en scène de Emmanuel Meirieu, avec Jean-Marc Avocat, Stéphane Balmino et Laurent Caron.
Dans la pénombre d’une scène baignée dans la grisaille, vont se succéder trois paroles, trois monologues qui plongent le spectateur dans la terrible ambiance de la perpétuelle guerre d’Irlande. Celle où règne le vent glacé des pires sentiments humains. La mort y rode avec comme cavaliers de l’apocalypse la souffrance et la trahison.
Compagnon de route devenu ami d’un chef de l’Ira, Denis Donaldson, en qui il projette sa foi de révolutionnaire romantique, Sorj Chalandon racontera dans "Mon Traître" et "Retour à Killybegs" comment il a appris que l’être qu’il vénérait trahissait la cause qu’il prétendait défendre. Comment rester un humaniste quand on s’aperçoit que son héros n’était qu’un Judas qui s’est vendu pour un plat de livres sterling ? Emmanuel Meirieu a donc rassemblé dans "Mon Traître" les deux paroles rassemblées dans les romans de Sorj Chalandon. On y entendra successivement le point de Sorj, devenu Antoine (Laurent Caron), l’ami luthier français de Tyrone Meehan, venant assister à l’enterrement pluvieux de son ami le traître. Lui succédera Jack Meehan (Stéphane Balmino), le fils de Tyrone, personnage qui n’était pas à l’origine dans les romans, mais qui apporte la voix chantée de l’Irlande. Car que serait une pièce ou un film sur l’Irlande sans la tristesse vibrante des chants irlandais ? Enfin, déjà mort, surgissant comme un vampire dans un film anglais de la Hammer, c’est au tour du spectre de Tyrone Meehan (Jean-Marc Avocat) de venir se défendre. Les deux premiers personnages s’interrogent, racontent, incrédules comment leur héros est devenu leur salaud. Tyrone Meehan, lui, ne s’excuse pas, mais raconte son récit de damné. Comment de réprouvé irlandais, il a endossé les habits du méchant. Porté par la voix forte et assurée de Jean-Marc Avocat, ce récit est proprement dantesque. On y revit, avec quelques projections vidéos qui renforcent le poids de l’horreur du monologue de Tyrone, les supplices vécus dans les geôles anglaises par les prisonniers irlandais conduits par Bobby Sand. Selon l’affreuse formule consacrée, personne ne sortira indemne de cette longue description clinique de ces jeunes gens idéalistes noyés dans leurs excréments par l’intransigeance de Mme Thatcher.
Qu’on se le dise d’emblée : Emmanuel Meirieu n’a aucune pitié pour son spectateur. Il ne sera pas question d’édulcorer ce qui s’est réellement passé. Est-ce le prix pour trouver des circonstances atténuantes à la trahison de Tyrone Meehan ? En tout cas, c’est ce qui donne cette force inouïe au travail d’Emmanuel Meirieu, parfaitement dans la lignée des "romans" de Sorj Chalandon.
Travail qu’on ne pourra plus oublier d’autant qu’il n’y a dans ce spectacle aucune tentative de manipulation, aucune tentative d’émotion frelatée. Ici, la violence n’est pas exhibée avec complaisance. Les mots sont forts pour qu’au terme du bout de la noirceur, l’humain puisse survivre.
"Mon Traître" est paradoxalement une œuvre pleine d’espoir.
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